Un athéisme de fait
- Michel
- il y a 5 jours
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Charles Delhez sj —

Au siècle passé, il existait un athéisme militant. Sartre, qui avait décidé que Dieu n’existait pas, en était une figure de proue. Aujourd’hui, un athéisme de fait règne, parfois même chez les croyants. Si souvent, nous vivons comme si Dieu n’existait pas, même si nous admettons son existence théorique. Nous sommes alors peut-être croyants, mais pas disciples.
Dieu, pourtant, n’est pas seulement un concept, un mot à la lettre D du dictionnaire. Il est une expérience intime, une manière de vivre sa vie. La plupart des humains seront d’accord avec Jean d’Ormesson qui, dans un des chapitres les plus courts de toute la littérature, proclame : « Soyons brefs, il y a autre chose que le monde[1]. » Point final. Mais quelle place faisons-nous à cette « autre chose », à Dieu ? Plus guère.
L’originalité de Jésus est d’avoir lié intimement l’amour du prochain à celui de Dieu, tout en donnant à Dieu la première place. Les deux commandements sont indissociables. L’amour de Dieu est le premier, mais il n’y a pas moyen d’y répondre sans passer par le second. Celui qui prétend aimer Dieu sans aimer son frère est un menteur, insiste saint Jean dans sa première lettre (4, 20).
Pour mettre Dieu à la première place et le rencontrer en toute chose, il faut en être passionné. Dans Laisse Dieu être Dieu en toi, le dominicain Jean-Marie Gueulette écrit : « Celui qui a, enracinée en lui, cette volonté de se donner à Dieu, de faire en lui toute la place à Dieu, le trouvera dans n'importe quelle manière de faire[2]. » Le témoignage d'Etty Hillesum, cette femme qui vient de l'athéisme, illustre cette conviction : « Si j’aime les êtres avec tant d’ardeur, c’est qu’en chacun d’eux j’aime une parcelle de toi, mon Dieu. Je te cherche partout dans les hommes et je trouve souvent une part de toi. Et j’essaie de fouiller dans les cœurs des autres pour te mettre au jour, mon Dieu[3]. »
Je me souviens d’un jeune couple revenant d’une randonnée en montagne, tout illuminé et brûlé de soleil. Je ne fréquente guère la montagne, mais j’ai alors ressenti le désir de mieux connaître ces hauts sommets. Pour cela, il fallait que je m’y risque moi-même. Vue de l’extérieur, en effet, la montagne reste intrigante. À s’y enfoncer, à y passer la nuit en refuge, à aller toujours plus haut, on découvre le mystère de ces vastes espaces dont on n'a jamais fini de s’enchanter. Petit à petit, chaque vallée reçoit un nom, chaque fleur est associée à une saison, chaque bruit attire l’attention… Parler des Alpes à ceux qui ne les connaissent pas est difficile. On ne peut qu’inviter à en faire l’expérience.
Ainsi en va-t-il du mystère de Dieu. Cela prend du temps, et cela demande de l’entraînement… Dieu demeurera une question de salon tant qu’on ne se sera pas risqué à la rencontre. “Maintenant, ce n’est point à prouver Dieu que nous allons occuper nos heures, mais à tâcher de le rencontrer”, disait Ernest Psichari, ce jeune écrivain français converti au catholicisme et tué en Belgique en 1914. Mais nous sommes tellement occupés ailleurs.
Rassurons-nous ! Dieu ne nous confisque pas notre vie, il lui donne un surplus de sens. Mais s’il est oublié, la vie risque bien d’en devenir désenchantée, de se réduire à l’accumulation de tâches à accomplir et de loisirs à consommer… Avec lui, tout gagne en densité.
[1] C’est une chose étrange à la fin que le monde, 2010, Pocket, p. 241.
[2] Cerf, Points, 2016, p. 60.
[3] 15 septembre 194 dans Les écrits d’Etty Hillesum, Seuil 2008, p. 712.
