Trop, c’est trop ! Comment ne pas être bouleversé, meurtri, effaré, ébranlé, en colère même, voire désespéré – les mots me manquent – par les révélations de ces dernières semaines. On aurait pu croire que le rapport Sauvé avait fait prendre conscience aux évêques français du drame et du scandale de la pédophilie et pointé les réformes à opérer dans la manière de les gérer.
Et voilà qu’il est révélé que l’ancien évêque de Créteil, qui avait quitté ses fonctions prétendument pour raison de santé, était en fait sous le coup d’une sanction romaine pour motif grave de pédophilie et d’utilisation des sacrements. Rien n’en avait été dit. Et voilà encore que, lors de la conférence des évêques réunie à Lourdes, une lettre est lue où le cardinal Picard reconnaît des faits gravement délictueux, certes il y a 35 ans. Cet homme avait été président de cette conférence épiscopale et était encore membre de la congrégation pour la Doctrine de la foi chargée des dossiers d'abus commis par les clercs.
L’affaire de l’évêque Saintier de Créteil met à mal la culture du secret dans l’Église et celle du cardinal Ricard interroge sur la manière dont sont choisis les responsables et, plus grave, de l’inconscience de ceux qui acceptent de tels rôles avec un si lourd passé. Que beaucoup s’éloignent de l’Église, comment s’en étonner ?
L’Évangile m’apprend cependant qu’il faut oser croire au pardon. Celui de Dieu, bien sûr, mais aussi le nôtre, puisque régulièrement nous disons : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » L’Évangile nous invite à toujours regarder vers l’avenir, à libérer les autres et à nous libérer nous-mêmes de notre passé, car Dieu est miséricordieux. Mais il ne faudrait pas que ce soit une manière de fermer les yeux ou de défendre l’institution. Les personnes ont droit à notre miséricorde – et c’est souvent un combat que d’y parvenir – mais les institutions méritent parfois des révolutions.
Le rapport Sauvé avait parlé d’une crise systémique. En voilà, hélas, une illustration de plus. Faut-il quitter le navire ? Heureusement, il reste la figure du pape François qui m’impressionne de plus en plus par son courage à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Église. Son idéal est fort : guérir l’Église de sa maladie du pouvoir, mettre les religions en dialogue, accueillir les plus blessés de notre humanité, et particulièrement les migrants, et j’en passe. Voilà qui me console et me rend courage.
Mais il y a surtout, bien sûr, la figure de Jésus lui-même. Et je ne peux oublier que c’est par l’Église, aussi pécheresse qu’elle soit, que son message m’est parvenu et que sa personne est restée vivante pour moi. « Il y a toujours une source cachée sous le seuil du temple », écrivait Éloi Leclerc, et de préciser « quand bien même [cette Église] s’affuble des oripeaux de ce monde[1] ».
Je ne quitterai pas le navire, même quand il coule, ce qui ne m’empêche pas de reconnaître qu’il coule, et qu’il faut une réforme profonde et totale. La petite barque des pêcheurs de Galilée est devenue un immense paquebot bien difficile à faire virer de bord. Mais ce même Jésus a eu l’audace de dire que les forces de mort ne prévaudront point contre elle (Matthieu 16, 18). C’est donc avec espérance que, en restant sur le pont, je me bats pour qu’il y ait un avenir, sans même savoir comment il sera.
Charles Delhez sj
[1] Éloi Leclerc, Chemin de contemplation, Desclée de Brouwer, 1995, p. 71.
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