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Une spiritualité engagée

Charles DELHEZ sj —

L’actualité nous rapporte chaque jour des événements si négatifs, qui sapent notre moral, si du moins nous les écoutons autrement que comme des faits divers qui nous délassent après le stress du travail… La spiritualité chrétienne nous invite à regarder le monde tel qu’il est, à nous laisser toucher, à communier à sa souffrance. Au début de son pontificat, suite à un drame de la migration, le pape François avait lancé ce message : « Qui a pleuré pour ces personnes qui étaient sur ce bateau ? (…) Nous sommes dans une société qui a oublié l’expérience des pleurs, du “souffrir avec” : la mondialisation de l’indifférence nous a ôté notre capacité de pleurer. »

Compassion n’est pas désespérance. Elle va précisément de pair avec l’espérance, cet optimisme de la volonté. Elle ne se confond pas avec un sentiment intérieur, elle est une manière de s’engager, de retrousser les manches. Jean-Claude Guillebaud parle d’un « optimisme stratégique ». Impossible en effet de s’engager efficacement sur fond de pessimisme. Durant l’Avent, nous sommes invités à vivre « un optimisme qui concilie sens du tragique et espoir en l’avenir », dirait Éric-Emmanuel Schmitt.

Les textes bibliques de l’Avent nous présentent des situations dramatiques si ressemblantes à ce qui fait le menu quotidien de nos infos, mais ils nous offrent aussi de belles images d’espérance : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra, sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main… » (Is 11, 6-8).

À la messe, nous avons l’habitude de partager des intentions de prière. C’est une manière de communier à tant de souffrances. La célébration terminée, notre amour doit se concrétiser dans des gestes parfois étonnamment simples, quotidiens, désintéressés.

Tout engagement demeurera en effet toujours non seulement limité, mais imparfait, ambigu. « S’engager, c’est adhérer à une cause imparfaite », disait un philosophe juif (Paul-Louis Landsberg). Si pour faire quelque chose, nous attendons que tout soit parfait, tant dans la cause que dans notre engagement, nous ne sommes pas près de nous mettre à l’ouvrage. Les anges ont les mains pures, mais ils n’ont pas de mains, a-t-on pu dire. Or nous avons des mains et nous sommes pris dans ce monde imparfait.

La zone de manœuvre est souvent limitée. Je ne puis à moi seul porter la responsabilité de tous les maux du monde. Je ne puis toutefois rester les bras croisés. Un jésuite flamand du XVII° siècle a résumé ainsi la spiritualité de Saint Ignace : « Ne pas être contenu par l’immense, mais pouvoir se loger dans l’infime, voilà qui est divin. » Aller dans le détail sans renoncer à l’universel !

Il nous faut accepter que l’immense désir qui nous habite, le feu qui nous brûle, allume tout simplement une petite flammèche. Mais celle-ci allumée, n’éteignons pas le feu qui lui a donné naissance. Et vivons en paix, nous réjouissant chaque fois que nous voyons le feu reprendre…

N’oublions jamais que désirer changer la société ne peut nous faire oublier l’urgence de nous changer nous-mêmes. Ce dont nous sommes d’abord responsables, c’est de ce petit bout d’humanité que nous sommes chacune et chacun. Il s’agit de réussir en nous l’humain, tout l’humain. Rappelons-nous la phrase de Gandhi : « Soyez le changement que vous espérez pour le monde. »




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