Charles Delhez sj –
Nous sommes à Trèbes, près de Carcassonne. Ce jour-là, le 23 mars 2018, Arnaud Beltrame se substituait à une otage, lors d’un attentat djihadiste. Après trois heures de négociation, il fut blessé mortellement. Il mourut la nuit suivante, ayant reçu l’onction des malades. À titre posthume, il fut promu colonel et décoré de la Légion d’honneur.
Dans un livre paru début janvier, Sa vie pour la mienne, aux éditions Artège, l’otage Julie Grand, un nom modifié, parvient enfin à témoigner. Elle raconte comment le terroriste, qui venait de tuer deux personnes et en blesser 15 autres, la tenait en otage. La Gendarmerie vint sur les lieux. Cinq hommes se mirent en ligne face à eux deux, prêts à tirer. C’est alors qu’Arnaud Beltrame s’est détaché : « Vos gueules, les gars, reculez, je prends. La petite dame, il faut qu’elle parte, elle n’y est pour rien. »
« Ça ne m'étonne pas de lui, il a toujours été comme ça », commenta sa maman en apprenant la nouvelle. Tandis que son épouse Marielle déclara que c’était le geste d'un gendarme et le geste d'un chrétien. « Pour lui, expliqua-t-elle, les deux sont liés, on ne peut pas séparer l'un de l'autre. » Arnaud se préparait en effet au baptême et au mariage religieux.
La caissière de Trèbes n’apprit la foi de son sauveur que bien plus tard. Elle avait reçu un petit mot d’un chanoine de l’abbaye de Lagrasse lui disant qu’il préparait Arnaud au mariage religieux. Mais, à l’époque, elle se méfiait des prêtres, elle était une athée « dure dure », selon ses mots. Ce n’est qu’en 2021 qu’elle alla rencontrer ce chanoine. Elle découvrit alors la foi d’Arnaud. « Je ne veux surtout pas qu’on pense qu’il a agi comme un illuminé, je me méfie des mauvaises récupérations que certains pourraient faire de la foi qui l’anime. J’étais là, et j’ai vu un homme agir selon son sens du devoir. »
La vie de Julie ne fut pas facile après ces évènements. Mais petit à petit, une série de circonstances l’ont ouverte à la foi. Ainsi, ce livre de Boris Cyrulnik sur la résilience où il constate que les personnes pratiquant une forme de spiritualité se remettent généralement mieux des épreuves de la vie que les autres. Un jour, dans l’abbatiale, au plus profond de la détresse, elle a fait une prière d’abandon, s’adressant au Christ et invoquant son père, ses ancêtres, Arnaud. Elle a commencé à remonter la pente. Je la cite : « J’ai appris à exprimer de la gratitude pour les petites choses. Je n’avais pas autant d’amour dans le cœur avant. Au fur et à mesure que je me suis approchée du baptême, je me suis aussi autorisée à me rendre sur la tombe d’Arnaud Beltrame, je m’en suis enfin sentie digne. »
Dans un petit mot adressé à Julie, Marielle l’a invitée à ne pas culpabiliser, à comprendre que son mari avait agi selon ses valeurs, qu’il n’avait fait que son devoir et que La Vie devait continuer. Elle y évoquait le pardon et espérait que, lorsqu’elle retrouverait son mari au ciel, le terroriste y serait aussi, grâce à lui. Julie, quant à elle, a trouvé bien des excuses à ce terroriste, mais le pardon, reconnaît-elle, n’est pas vraiment facile. Le chemin n’est pas terminé.
Le pardon, en effet, est souvent au-dessus des forces humaines. Ce qui est impératif, c’est d’être en chemin vers lui.
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