On les commente et les recommente, les chiffres du dernier Rapport annuel de l’Église catholique en Belgique. En les arrondissant, on peut les résumer de la manière suivante : En 2021, moins de 2% des Belges ont pratiqué régulièrement. Ils étaient près de 50% dans les années 60. Si près de quatre enterrements sur dix sont catholiques, un mariage sur 10 seulement est célébré à l’église et il y a trois baptêmes pour 10 naissances. N’y aurait-il plus que si peu de chrétiens ? Les enquêtes de ces dernières années parlent pourtant d’environ un Belge sur deux se déclarant catholique. Tous sont-ils croyants pour autant ? Non, bien sûr. Mais la plupart gardent encore une foi en Dieu, une admiration pour le Christ, des gestes religieux d’inspiration chrétienne.
Il n'empêche. Nos églises se vident. Une explication est celle de l’institution qui semble dépassée par l’évolution rapide de notre époque. Certaines de ses prises de position heurtent de front les convictions d’aujourd’hui. Elle est aussi éclaboussée par les scandales. Oui, l’institution ecclésiale a démérité. Est-elle la seule ? Non. Mais si on ne peut pas se passer de l’État, on peut déserter l’Église. Or, elle offre, malgré ses lacunes et ses fautes, une dimension essentielle en plus à nos vies. Il faut parfois du temps pour s’en rendre compte.
Cette crise systémique profonde s’insère dans une autre plus vaste, celle de notre civilisation occidentale. Tout le monde s’accorde pour dire que notre société est devenue matérialiste et individualiste. Ces deux mots qui font l’unanimité donnent explication de plus à la crise religieuse.
Matérialiste. Or la religion nous ouvre à une dimension spirituelle. Dans notre société, tout est un extériorité. Nous sommes en panne d’intériorité. Cela saute aux yeux. Le retour de la spiritualité est plus un titre médiatique qu’une réalité de terrain.
Individualisme. Or nul n’est chrétien tout seul. Pourtant, la foi est devenue affaire individuelle. Chacun se forge sa religion. Chacun a sa propre relation avec Dieu, il est vrai, sa propre sensibilité religieuse, ses rites. Mais il faut aussi cheminer ensemble. Si les églises se vident, ce n’est pas seulement faute de croyants, mais c’est aussi parce que les croyants n’éprouvent plus le besoin de se soutenir les uns les autres.
Nous voulons que l’institution change, et à raison. Mais qui la changera si nous désertons nos communautés ? Jadis, on allait à la messe pour être en règle, ne faut-il pas y aller pour faire vivre notre foi chrétienne qui est communautaire dès les origines ? Si il n’y a pas de lieu où on la célèbre et la nourrit, elle ne pourra se transmettre.
Lorsque je prépare des fiancés qui demandent avec conviction un mariage à l’église ou les couples qui préparent un baptême, il m’arrive de leur dire : « Et qui sera là pour accueillir la demande de vos enfants ? Le prêtre que je suis n’est pas un druide, mais le pasteur d’une communauté, et c’est au nom de celle-ci que je vous accueille. » Quand nos communautés chrétiennes auront disparu, qui ouvrira la porte à ces croyants restés sur le seuil ?
Ne quittons pas le navire, laissant la barre à une caste qui ne se recrute plus. L’avenir est aux communautés vivantes et intenses, si peu nombreuses soient-elles. Mais il faut qu’il il y en ait si nous ne voulons pas que notre société perde son âme.
Charles Delhez sj
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