Charles Delhez sj –
Ce livre[1] est difficile à refermer et, quand on l’a terminé, une profonde peine, mais non dénuée d'espérance, nous habite. Le roman Les Dragons flaire la réalité. Et pour cause. Jérôme Colin, journaliste à la RTBF, s’est immergé dans un centre pour ces adolescents en difficulté qui sont « la preuve éclatante que le petit monde normal n’est pas normal pour tout le monde ». Il a beaucoup parlé avec eux. On pourrait s’attendre à un réquisitoire contre la jeunesse d’aujourd’hui, contre ses déviances, ses violences, sa marginalité, mais en fait, c’est la société qui est la grande accusée. On quitte ce livre avec une immense question : quel sens donner aux jeunes d’aujourd’hui, plongé dans ce monde que nous leur avons transmis ?
Jérôme, le héros du roman, c’est un peu l’auteur de ces pages, qui porte le même prénom. Sa femme, d’ailleurs, s’appelle Colette comme l’adolescente qui va éveiller dans le cœur de Jérôme l’amour qu’il faut pour vivre. À elle, il pourra parler. L’important, c’est d’avoir quelqu’un à qui parler, disait Steinbeck.
Jérôme a été placé aux Dragons pour qu’il puisse s’insérer dans la société et reprendre une vie « normale ». Il fait partie de ces jeunes dont notre société ne sait que faire : « Mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ? Tu nous gâches la vie. Il faut grandir, maintenant. » Il ne voulait pas grandir dans ce monde. Il ne voulait pas quitter son enfance pour l’avenir effroyable qu’on lui dessinait, il avait le dégoût de cette vie dite normale. « Je ne souffre pas, connasse. Je suis en colère », a-t-il envie de dire à Madame Ornella, son éducatrice.
Plusieurs rencontres, chez Les Dragons, ont cependant permis à Jérôme d’en sortir petit à petit. La responsable de l’atelier d’écriture, Nadine, le psychiatre, le mastodonte de surveillant avec qui il tissera une amitié étonnante. Et surtout Colette. Ses bras étaient lacérés jusqu’aux épaules. Des incisions profondes, dont la cicatrisation dessinait une nouvelle peau semblable à des écailles. Elle avait les cheveux rasés, du noir sur les yeux : ce fut le coup de foudre. Il y eut pour lui, un avant son apparition, avant son absence, avant tout. Face à elle, qui pensait au suicide, il se découvrit une mission : une fille à sauver qui le sauverait.
On ne peut être insensible à la tonalité évangélique de ces pages. « Il faut aimer le faible », cette autre phrase de Steinbeck, revient souvent. Dans cet océan de désespoir, vide de sens, de temps en temps pointe le désir de faire du bien. D’où cela vient-il donc ? Et des moments de tendresse, ce mouvement délicat qui remplace tous les mots, finissent par se faufiler. L’espérance, petit rai de lumière sous la porte, réussit à illuminer le roman. Jérôme réussira en effet à se pencher sur son passé, à réparer ce qu’il peut réparer et à profiter de ce qui lui reste.
La plus belle note d’espérance est sans doute la lettre que l’auteur, en fin de volume, adresse à sa propre fille Adèle. Une page d’anthologie. « La joie est le seul vrai doigt d’honneur à tout ce qui nous gâche la vie », lui écrit-il. Et d’ajouter : « Ne crains pas la dose de souffrance qu’apporteront tes joies. » Et il insiste même : « Ne fuis pas la souffrance », tout en ajoutant : « Ne l’aime pas ! » En ce temps pascal, un message qui résonne !
[1] Jérôme Colin, Les Dragons, Allary Éditions, 2023
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