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Que restera-t-il de l’Église ?

Charles Delhez sj —

Lors d’un récent séminaire de formation à Marseille, j’ai pu apprendre ce qu’il y restait de l’Église après la Révolution française. En fait, pas grand-chose. Quelques dizaines d’années plus tard cependant, le christianisme y était redevenu florissant. Un aristocrate dont la famille avait été ruinée par cette révolution, l’archevêque Eugène de Mazenod[1], s’était consacré à la résurrection chrétienne de la ville. « Je me suis dévoué au service de l’Eglise parce qu’elle était persécutée, parce qu’elle était abandonnée », a-t-il pu déclarer.

Mais il n’y avait pas que lui. Sous son épiscopat, Notre-Dame de la Garde, la célèbre « Bonne Mère » des Marseillais, fut construite uniquement avec les sous des fidèles. Et de même pour la cathédrale de la ville. Les chrétiens de la métropole méditerranéenne ont pris leur destin en main. L’Église renaît souvent par le bas, à partir du peuple.

Aujourd’hui, la Révolution est digérée, mais nous sommes affrontés à une déchristianisation massive et aux nombreuses crises de l’institution ecclésiale que je n’aborderai pas ici. Quantité de personnes au passé très catholique ont décidé de rompre avec l’Église, avec colère, par perte de confiance ou par oubli. Et d’aucuns reconnaîtront qu’ils ne s’en portent pas plus mal. Certains ont aussi choisi de changer d’Église, voire de religion. De plus, la crise de la Covid a fait perdre les « bonnes habitudes » de pratique religieuse. Hors de l’Église pas de salut, disait-on. Aujourd’hui, il est banal de penser : Hors de l’Église, le salut.

L’Église de nos pays connaît un véritable effondrement. Il faut tout reprendre à zéro, retourner au Jourdain pour entrer à nouveau dans la Terre promise, nous inspirant de Jean, celui qui baptisait dans ce fleuve. Il ne s’agit évidemment pas de regagner les catacombes, de jouer au mimétisme, mais de discerner : comment la radicalité audacieuse de l’Évangile peut-elle être proclamée et vécue dans la modernité, en tenant compte de ses meilleurs acquis tout en restant critique de ses limites. Sans nier non plus ce qui, dans l’Église, attend réforme. L’Église est un peuple de pécheurs appelé sans cesse à se convertir. Comme chacun d’entre nous, d’ailleurs.

Carlo Carretto (1910-1988), cet ancien dirigeant italien de l’action catholique, qui m’a beaucoup marqué par ses Lettres du désert (1964), a pu écrire : « Non ce n’est pas mal de critiquer l’Église quand on l’aime. C’est mal de la contester quand on se tient sur la touche comme des purs. Non ce n’est pas mal de dénoncer le péché et les dépravations, mais c’est mal de les attribuer aux autres seulement. »

En quittant le navire, nous ne l’aiderons pas à virer de bord. Nous risquons même de laisser la place à eux qui refusent tout changement au nom d’une tradition figée. Comme prêtre, je cherche à vivre avec d’autres, en paroisse comme dans de nombreuses petites équipes fraternelles, cette Bonne Nouvelle du Christ qui, malgré tout, grâce à l’Église, est parvenue jusqu’à moi. Dans notre société qualifiée d’individualiste, il faut faire corps. Ce qui restera de l’Église, ce sont toutes ces petites communautés, sans cesse en marche avec pour azimut l’Évangile. Qu’il me soit permis de les inviter à être audacieuses et inventives : de petites améliorations ne sont jamais perdues et permettent de continuer à espérer.



[1] Fondateur des Oblats de Marie Immaculée. Canonisé par Jean-Paul II (1995).

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