Charles Delhez sj –
« Qu’est-ce que la vérité ? » Célèbre question de Pilate ! Était-ce le moment d’un débat philosophique ? Jésus ne répondra pas de manière livresque. Il se tait. Sa simple présence est la réponse. Humilié et défiguré, il est présent, il est don de lui-même, offrande d’amour. « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne », avait-il dit. La vérité, Pilate, cherche-la non dans les traités ou les discussions interminables, mais dans l’être humain, dans tout être humain, à commencer par les rejetés. Le jour où tu accueilleras chacun en vérité, quelle que soit sa déréliction, tu connaîtras la vérité.
C’est ainsi que Dieu se révèle. « Qui m’a vu a vu le Père », disait encore Jésus. Nous avons trop laissé Dieu sur sa planète. Or il est en alliance avec l’homme à tel point que, lorsque l’homme souffre, il souffre. En Jésus, il clame sa propre souffrance. On pourrait imaginer un crieur public annonçant à tout qui veut l’attendre : « Mes frères, Dieu a perdu. Les hommes lui avaient intenté un procès, il s’est présenté au tribunal et il a perdu. Il a été condamné à être abandonné de ses amis. Il a été condamné à mourir hors de la ville. Il ne fait plus qu’un avec toutes les détresses humaines et toutes les désespérances. » Mais après un temps de silence, laissant son auditoire dans la stupéfaction, le crieur ajoute: « Oui, mes frères, Dieu a voulu perdre pour que l’homme gagne ! »
Dans le langage religieux et liturgique de l’époque, l’auteur de la lettre aux Hébreux, lue le Vendredi saint, présente Jésus comme « le grand prêtre par excellence ». Écoutons : « Nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours » (He 4, 15-16).
Le grand prêtre par excellence ! Jésus nous relie à Dieu en nous rejoignant, chacun personnellement ainsi que toute l’humanité, dans le plus profond de la détresse. Il nous prend par la main pour nous entraîner vers le « salut éternel », vers une vie pleine et heureuse, jusque par-delà la mort, sans la supprimer pour autant. Il la traverse par son obéissance, par son oui à l’amour et à la vie. Il nous mène vers la Pâque éternelle. La mort n’est plus la porte d’entrée du néant, mais de la joie.
Dans ses Cinq méditations sur la mort, François Cheng écrit : « Il est allé vers l'absolu de la vie, il a pris sur lui toutes les douleurs du monde en donnant sa vie, en sorte que même les plus humiliés et les plus suppliciés peuvent, dans leur nuit complète, s'identifier à lui, et trouver réconfort en lui. » Jésus a ainsi fait montre d’un amour « fort comme la mort, et même plus fort qu'elle. » C’est pour cela que, le Vendredi saint, l’Église a l’habitude, avant de vénérer la Croix, de prier longuement aux grandes intentions de l’Église universelle et du monde afin d’être en communion avec l’humanité tout entière en quête d’une vie plus vraie et avec Dieu qui nous l’offre étonnamment sur une croix.
« Si les hommes savaient, écrivait le philosophe Jacques Maritain, que Dieu souffre avec nous et bien plus que nous de tout le mal qui dévaste la terre, bien des choses changeraient sans aucun doute, et bien des âmes seraient libérées.
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