Peut-on critiquer l’Église, me demandait récemment une journaliste. Elle avait lu mon récent petit livre intitulé Église catholique, renaître ou disparaître[1], ouvrage quelque peu critique. Est-ce permis ? Tout dépend de la manière bien sûr. Le fait-on avec rancune, aigreur, agressivité, sur un ton de supériorité ou bien par amour. Tout dépend aussi du but : l’aider à grandir ou la battre, avec ou sans apostrophe !
J’ai donc répondu positivement : oui, on peut critiquer l'Église. Si on ne le pouvait, on serait dans une secte. Il n’y a que les gourous – et les belles-mères, diraient certains – auxquels on ne peut toucher. Il m’arrive d’être critique vis-à-vis de l’Église, et même souvent, mais toujours de l’intérieur et surtout dans l’espérance. Tant de gens, en effet, la critiquent de l’extérieur, en la quittant sur la pointe des pieds ou violemment ou même en ne lui ayant jamais appartenu. Ce n’est pas mon cas.
Mon petit livre en question, je l’ai, comme tous mes livres, soumis à l’approbation du père Provincial, mon supérieur jésuite. Il l’a fait lire par des confrères, qui n’étaient pas tous dans la même ligne que moi, puis il m’a dit : « Je te fais confiance. » Il s’agit en effet d’être loyal. Dans mon « petit code chrétien » en 10 articles, écrit il y a quelques années, on pouvait lire : Ne sois ni servile ni rebelle face à l’institution. Sois loyal. »
Si l’on peut critiquer, c’est sans doute parce que l’Église n’est pas parfaite ! Avec le père Bernard Sesboüé, on peut ajouter que le péché affecte aussi la structure de l’Église, ses institutions, ses ministères, sa manière d’annoncer l’Évangile et d’en vivre ainsi que son comportement dans le monde[2]. Et pourtant chaque dimanche, les pratiquants la proclament sainte : je crois en l’Église une, sainte, catholique et apostolique. Sainte, vraiment ? Le grand théologien Karl Rahner parlait de la sainte Église des pécheurs. Composée pécheurs, et le rapport de la CIASE parle même d’actes criminels commis par ses membres les plus éminents, elle est cependant le corps du Christ, dit saint Paul. Elle est donc plus que la somme de ses membres. Elle a pour mission de nous transmettre la vie du Dieu trois fois saint. C’est en cela qu’elle mérite cet adjectif, non pas comme un constat, mais comme une vocation, comme une mission. Éloi Leclerc a cette belle phrase : « Il y a toujours une source cachée sous le seuil du temple. Et l’eau qui en jaillit est une eau vive[3]. » Il exprime ainsi que l’Église « a le pouvoir de communiquer la vie divine, quand bien même elle s’affuble des oripeaux de ce monde. »
Que d’hommes et de femmes n’ont-ils pas en effet, au long des siècles, été mis, grâce à elle, en contact avec le Christ, et par lui avec Dieu. Certains sont d’ailleurs proclamés saints, car ils ont bu abondamment à cette source sous le seuil du temple.
La sainteté de l’Église ne vient donc pas de sa perfection, mais de celui avec qui elle est en alliance, celui dont elle est le corps. Elle est sa présence continuée au cœur même de notre histoire si mouvementée. « C’est le corps qui est saint, non les vêtements [que ce corps] porte[4] », a pu écrire le théologien Michel Quesnel. Je terminerai par cette citation assez forte de Teilhard de Chardin : « J’aurai passé la majeure partie de ma vie à étouffer dans une Église hors de laquelle je ne peux pas respirer. »
Charles Delhez sj
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