Charles Delhez sj –
On nous complique la vie ! Qui n'a jamais eu l'impression de ne pas en sortir avec son ordinateur, cherchant à gauche ou à droite un code oublié, ou constatant que l'application ne répond plus, ou encore quand il veut s'inscrire à un événement qui réclame une multitude de renseignements ?
Le numérique est partout : banques, administrations, fournisseurs d’eau ou d’énergie, mutuelles, prise de rendez-vous médicaux, taxis, trains, avions, achats à distance, spectacles… Il étend son empire, mais au profit de qui ? Le monde du business digital se fait de l'argent sur le dos de la complication de notre vie ! Trop souvent, ce n'est plus gagner du temps, mais en perdre, et s'énerver ! Je connais quelqu'un qui s'est donné comme mot d'ordre : au bout d'un quart d'heure, j'abandonne.
Nous assistons à une marginalisation croissante d’une grande partie de la population. De nombreuses personnes sont laissées sur le bord du chemin : les personnes handicapées ou âgées, celles qui connaissent des difficultés de lecture ou ont du mal à écrire (on estime ce groupe à 10% dans notre société) ou celles d’origine étrangère qui ne maîtrisent pas nos langues nationales, des chômeurs, des travailleurs dépassés par les outils complexes qui leur sont imposés. De plus, tout le monde n’a pas d’ordinateur ou les moyens d’en acheter. Tous n’ont pas non plus accès à Internet.
A l’heure où l’on parle d’inclusion, nous assistons à une exclusion. Une "fracture numérique" sépare les gens en deux catégories : ceux qui savent et ceux qui se sentent dépassés et exclus. Elle crée un sentiment de dépendance, d’infériorité ou de stress. Des associations en prennent conscience et militent pour réduire cette fracture. Pour sa campagne 2023, l'association Lire et Écrire a monté un spectacle humoristique pour raconter les dérives de notre société tout-au-clic.
Pour les personnes en situation de handicap, fait remarquer le Silex, centre de loisirs pour personnes handicapées, l’accès aux services bancaires est une des plus importantes difficultés de la vie quotidienne. Elles avaient appris à se débrouiller par elles-mêmes pour faire leurs virements, par exemple. Ce n’est plus possible. La majorité des agences et guichets sont fermés. La plupart des services et l’aide à la clientèle sont offerts à distance sur Internet ou par téléphone, via des centres d'appel complexes avec de longs temps d’attente. Du coup, de nombreuses personnes sont de moins en moins autonomes. Les pertes et les vols de cartes bancaires ainsi que l’oubli du code et des mots de passe sont de réels problèmes de la vie quotidienne.
La digitalisation mène aussi progressivement à la suppression de l’argent liquide et des distributeurs de billets. Avec les paiements par cartes, ces personnes se rendent moins compte de ce qu'elles dépensent. Les distributeurs de billets qui subsistent sont parfois difficiles à utiliser ou ne pas adaptés aux personnes de petite taille et à celles en chaises roulantes. Tout cela sans mentionner le risque d’escroquerie par mails, réseaux sociaux ou téléphone.
Cette fracture va-t-elle se résorber ou croître encore ? Je ne sais. Ce que je crains surtout, c'est que notre société se fasse de plus en plus anonyme. La vie sociale est en danger. Les nouvelles technologies, l’informatique, l’Internet, le GSM, les robots, les machines remplacent les personnes. L’isolement augmente. Or, rien ne remplacera le contact humain.
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