Charles Delhez sj –
Croissantiste, productiviste et consumériste, telle est notre société. Et le chiffre magique du PIB mesure cela. Ce n'est plus tenable. Notre maison brûle et se noie, le règne des vivants s'atrophie. Et nous ne sommes qu'au début des effets du changement climatique.
Faut-il entrer en décroissance ? Laissons tomber cette joute verbale, parlons plutôt de modération et de répartition équitable. Modération ne signifie pas récession. Il s'agit de chercher un nouvel équilibre où tout le monde trouve son compte, les riches, les pauvres, le règne des vivants. C'est la démesure qui entraîne le déséquilibre. Il nous faut 4,3 planètes pour pouvoir maintenir notre style de vie, alors que d'autres doivent se contenter d'une demi-planète.
Notre société prend petit à petit conscience qu'il lui faut retrouver une certaine sobriété, qu'elle doit entrer en Carême. La modération rappelle le jeûne, un des trois piliers de ces quarante jours. Il y a aussi la prière, la dimension spirituelle. Pas de changement extérieur sans ancrage intérieur. N'aurions-nous pas remplacé notre capacité d'émerveillement et de louange, attitudes spirituelles essentielles, par l'utilitarisme et le rendement ? Or, estime le bouddhiste Matthieu Ricard, "l'émerveillement favorise les actions nécessaires à l'émergence d'une nouvelle économie et de nouveaux modes de vie et de consommation". François d'Assise a traduit cet émerveillement en prière, le célèbre cantique des créatures.
Nous nous sommes coupés de la nature, l'abordant de manière cartésienne, comme un objet entièrement en notre pouvoir. Nous l'avons également séparée de Dieu, devenant ses seuls maîtres et seigneurs. Pour les écopsychologues, l'urbanisation des temps modernes est une des racines de la crise écologique, car le lien avec la nature est constitutif de notre identité. Les peuples premiers nous le rappellent si bien. La nature n'est pas cette propriété dont nous pourrions abuser, mais un mystère qui nous enveloppe et nous dépasse. Nous en faisons partie.
L'aumône, souci des autres, est le troisième repère du Carême. Le fossé entre riches et pauvres s'élargit et devient abyssal. 17 % des humains seulement peuvent se permettre du tourisme et, dans les zones tropicales, les pauvres, majoritaires dans ces pays, paient les conséquences de notre développement inégal et sont de plus en plus contraints à la migration économique. Mondialisation n'égale pas délocalisation et afflux, chez nous, des biens du monde entier, mais fraternité universelle. "L’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties", dit le pape François.
Traditionnellement, pour les chrétiens, le Carême est une marche vers Pâques, fête qui célèbre le passage de la mort à la vie. Aujourd'hui, on entend parler de transition. N'y a-t-il pas des ressemblances? Nous sommes en effet devant un choix : laisser mourir notre humanité ou opter pour la vie de tous dans la fraternité, en communion avec tous les vivants et la nature. Cette prise de conscience gagne du terrain. Les actes suivront-t-ils, tant au niveau politique qu'au niveau de chacun d'entre nous? À chacun d'en décider. Bon Carême !
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