Octobre, mois des missions. Voilà bien une expression qui ne passe plus. À notre regard moderne, en effet, les missions apparaissent comme des entreprises ambigües de marketing, liées à la colonisation, visant à implémenter une civilisation chrétienne par trop occidentale. Je caricature, bien sûr. Notons cependant que cette expression n’a plus cours, et heureusement. On parle aujourd’hui de « la mission universelle ». Et le pape François le répète souvent, « la nature intrinsèque de l’Église est missionnaire ». Une Église en sortie est son expression bien connue.
Les chrétiens se sentent envoyés à tous pour apporter une bonne nouvelle, qui n’est évidemment pas à confondre avec une institution dans laquelle il faudrait entrer. Dans les faits, nous avons, hélas, identifié christianisme et chrétienté, cette dernière étant une civilisation aujourd’hui en train de disparaître. L’Occident a trop souvent imposé sa culture et son éthique avant de susciter une démarche spirituelle d’amour de Dieu et d’amour fraternel. « Ne pouvons-nous pas inventer un autre mode d’être que celui de l’hégémonie ? », se demande Chantal Delsol[1].
La finale de l’Évangile de Mathieu est claire : « Allez ! De toutes les nations, faites des disciples… » (28, 19). N’est-ce pas dans la finale d’un article, d’une chronique, que l’on trouve l’essentiel, la conclusion à laquelle l’auteur voulait arriver ? Le message est donc évident : l’Évangile n’est pas à usage privé, mais un bien commun pour l’humanité. « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! », s’exclamait Paul (1 Co 9, 16). Nous ne serons bien sûr jamais à la hauteur de ce que nous annonçons, mais ce n’est pas une raison pour nous taire.
Annoncer ! Mais encore faut-il savoir comment ? Certainement pas par les armes, ou la main dans la main avec les colonisateurs. Il y a aussi des prosélytismes plus insidieux. Annoncer l’Évangile dans ce monde postmoderne, ne serait-ce pas non conquérir, mais être tout simplement présent là où sont les humains, au coude à coude avec eux dans leur combat, mais toujours porteur d’une espérance ? « Soyez toujours prêts à rendre raison de l’espérance qui est en vous », écrivait saint Pierre. Et il ajoutait : « Mais faites-le avec douceur et respect » (1 P 3, 15-1). Ici, les modèles seront un Charles de Foucauld, qui n’a converti personne, mais est resté fidèle jusqu’au bout au peuple touareg qu’il avait épousé ; ou les moines de Tibhirine restés solidaires des paysans musulmans algériens menacés lors des années noires.
Aujourd’hui, la mission se déploie dans deux directions. L’une extérieure, comme présence à tous les peuples de la terre, à ceux qui n’ont jamais entendu parler de cette bonne nouvelle et qui pourraient y trouver un supplément d’humanité. L’autre, intérieure. « Nous referons chrétiens nos frères », clamait-on au siècle dernier. Certes nous ne parlerions plus comme cela, mais ne peut-on dire que l’Évangile est un plus à offrir à notre monde inquiet que l’on qualifie d’individualiste et de matérialiste ? Sur les deux fronts, il s’agit d’être d’humbles serviteurs de l’espérance des hommes, par nos paroles et discours, peut-être, mais d’abord par notre manière de vivre. Et réjouissons-nous quand ceux que nous côtoyons devinent ou que nous pouvons leur annoncer explicitement qu’au cœur de notre vie, il y a cet amour de Dieu qui a pris visage en Jésus Christ.
Charles Delhez sj
[1] Chantal Delsol, La fin de la chrétienté, Cerf 2021, p. 169.
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