Charles Delhez sj –
Il y a liberté et libertés au pluriel. Être libre, ce n'est pas avoir toutes les libertés. Certaines ont d'ailleurs déjà été supprimées depuis longtemps Ainsi le spectacle de la mise à mort dans les jeux du cirque ou l'exposition des enfants jusqu'à six ou sept ans, chez les Romains, ou encore l'esclavage. Il y a des libertés qu'on ne se donne plus.
Quand donc d'autres libertés, qui mettent à mal notre planète, seront-elles supprimées ? Ainsi, le sport aéronautique, les city-trip d'un week-end en avion, les croisières maritimes… À chaque fois, il y a moyen de se trouver de bonnes justifications, mais elles n'ont plus de poids si on veut arriver aux objectifs écologiques et donc éviter de mettre la planète en grave danger et l'humanité en péril. "L'effondrement climatique a commencé", déclarait récemment le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres.
La liberté est tout autre chose que les libertés. Celles-ci sont des permissions que l'on s'accorde ou non tandis que la liberté est le propre de la condition humaine et nous met sur pied d'égalité avec tous. Il a pourtant fallu du temps pour la reconnaître à tout humain. Pour des philosophes comme Aristote, il y avait deux espèces humaines différentes : les hommes libres et les esclaves. Saint Paul déclarera leur égalité en Jésus Christ, mais c'était une vue de foi et pas encore une réalité sociale. Au 18e siècle, les députés américains (1776) n'avaient pas plus que leurs homologues français (1789) remis en question l'inégalité de naissance. Aux États-Unis, Il faudra attendre la guerre de sécession et, en France, l'abolition définitive de l'esclavage en 1811 seulement.
La liberté de l'autre est souvent vue comme une limite de la mienne. Vision un peu négative, mais soit. L'équilibre écologique et la biodiversité ne serait-elle pas aussi des limites à respecter sous peine de voir notre humanité disparaître ? Notre mode de vie en effet les compromet. Il y a donc des libertés qu'on ne pourra plus s'octroyer. Mais cela nous répugne. Pourtant, toute vie sociale suppose que l'on restreigne les libertés individuelles, sans pour autant toucher à notre liberté fondamentale qui, elle, est bien plus qu'un ensemble de petites libertés.
Être libre, écrit Luc Ferry, c'est "parfois, sacrifier notre bien-être au nom de valeurs supérieures au bonheur”, du moins, dirais-je, à l'idée que nous nous en faisons. Pour la question qui nous occupe, ne serait-ce pas finalement sacrifier notre confort et être capable de prendre nos responsabilités, face aux autres, face au monde des vivants et à la planète et nous demander à chaque fois si telle action est bien nécessaire, utile et non-nuisible? Veillons à ne pas être un renard libre dans un poulailler!
La décroissance a déjà commencé, elle s'impose de plus en plus à nous. Quand on n'a plus le choix, il ne reste qu'à choisir d'accompagner la nécessité. Il nous appartient de réussir cette décroissance économique sans toucher au bien-être. Nous contenterons-nous de ce qui est suffisant pour bien vivre ? Déciderons-nous à temps de réduire l'inessentiel pour ne pas compromettre l'essentiel, de ralentir notre course folle ? Peut-être d'ailleurs vivrons-nous mieux, mais autrement. Nous sommes sans doute la dernière génération à pouvoir encore agir “librement” avant d’être définitivement prisonniers de nos erreurs passées, devenues irréversibles.
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