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La décroissance qui fâche !

Charles Delhez sj —

Abordons le sujet qui fâche : la décroissance[1]. Parler de ralentissement passerait peut-être mieux ! C’est précisément l’objet de Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance[2], déjà évoqué la semaine dernière. « La décroissance est une nécessité écologique, mais c’est aussi une aubaine sociale et existentielle », proclame son auteur, Timothée Parrique. Ce que nous devons faire pour survivre rejoint ce que nous devrions faire pour être plus heureux .

C’est en fait la religion de la croissance qui devrait nous affoler. Un « athéisme de la croissance » est urgent, selon l’expression de Serge Latouche. Nous vivons en effet en excès de production, de consommation. Notre économie du contentement produit ce dont nous n’avons pas vraiment besoin. Or, cela saute aux yeux, les dommages sont nombreux pour la planète, pour le règne des vivants, pour l’humanité en tant que famille humaine et le bien de chacun.

À coup de chiffres, de réflexions bien fondées ou de formules fortes, Timothée Parrique dégonfle les baudruches et décortique les objections qui circulent dans cette société où tout le monde porte les lunettes du capital. Or, c’est une évidence : pratiquer une économie en croissance perpétuelle dans un environnement limité est comme enfouir des pieds d’adultes dans les chaussures taille 20 de son enfance. Rien dans la nature ne croît indéfiniment ! Le capitalisme, lui, ne peut pas plus renoncer à la croissance qu’un crocodile ne peut devenir végétarien. Il faut donc changer de système.

Comme un requin qui doit constamment être en mouvement pour respirer, le système économique actuel ne peut se stabiliser que par la croissance. Voilà ce qu’il faut remettre en question. Il s’agit d’une reconversion. « L’heure est venue, lit-on dans Laudato si’, d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties. »

La décroissance n’est qu’une transition en vue d’une économie de « post-croissance », économie stationnaire, en relation harmonieuse avec la nature, où les richesses sont équitablement partagées. Une récession se produit lorsqu’une économie de croissance est grippée. Ici, il s’agit de décroissance, d’un processus planifié démocratiquement, d’une anticipation organisée en vue d’éviter l’effondrement pronostiqué par tant d’auteurs. L’objectif est clair : alléger l’empreinte écologique, de manière démocratique, dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être pour tous. Plus on attend, plus ce sera difficile, et plus certains dégâts seront irrémédiables.

Une utopie ? Assurément. Il faut oser rêver d’une société alternative construite sur de nouvelles valeurs. Un mal-être règne, une anxiété colore nos conversations. Il faut guérir de la « pathologie de l’illimité » (Dominique Méda), décoloniser notre imaginaire de l’impératif productiviste et de la poursuite de l’enrichissement sans fin.

Y aura-t-il des sacrifices ? Bien sûr, comme pour l’abolition de l’esclavage : les propriétaires d’esclaves se sont sentis lésés. Le véritable défi de ce début de siècle sera d’inventer un système économique qui assure « le bien-être pour tous dans les limites de la planète », déclare le dernier rapport du GIEC. Une véritable métamorphose anthropologique nous attend.


[1] 60 % des Français, en 2020, s’y disent pourtant favorables.

[2] Timothée Parrique, Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance, Seuil 2022

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