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Dieu est un cœur battant


Charles Delhez sj —

L’impassibilité serait-elle un attribut divin, comme le pensait Aristote ? Que nenni ! Dieu est plutôt « un cœur battant », selon la belle expression de Charles Péguy. À la suite de saint Jean, en effet, les chrétiens ne cessent d’affirmer que « Dieu est amour » (1 Jn 4, 16). Peut-on aimer, sans être compatissant, miséricordieux, sans s’approcher de la souffrance de l’autre, proche ou lointain, et la faire sienne, même si on ne peut souffrir à sa place ?

« Si les hommes savaient que Dieu souffre avec nous et bien plus que nous de tout le mal qui dévaste la terre, bien des choses changeraient sans aucun doute, et bien des âmes seraient libérées », disait le philosophe Jacques Maritain.

La compassion n’est pas seulement bouddhiste. Michel Fédou, dans son récent La compassion de Dieu[1], traverse les siècles pour montrer comment ce thème a été visité par les théologiens chrétiens, les spirituels. La Shoah a suscité toute une production philosophique et théologique à ce propos, les injustices sociales en Amérique latine ont fait naître la théologie de la libération, le sort des exclus dans la société indienne, les dalits, ont inspiré la théologie asiatique.

N'oublions pas la littérature : Dostoïevski, Bernanos, Hugo ; la musique : les passions de Bach, Les Negro spirituals. Dans le célèbre tableau de Rembrandt, où le père accueille l’enfant prodigue, une des deux mains qui enserrent le fils retrouvé, la droite, est féminine. Paul Baudiquey, commentateur de ce tableau, y voit « la tendresse sans fond, la compassion sans rivage d’un Dieu, Mère autant que Père[2] ».

L’amour ne se résume pas à la compassion, mais il l’implique. Le Créateur ne peut que souffrir de la souffrance de sa création : il y a les victimes innocentes, les pécheurs sont malheureux. Dieu pleure avec ceux qui pleurent. Dieu souffre aussi dans la nature sacrifiée, fait remarquer le théologien protestant Jürgen Moltmann.

L’expérience des femmes évoque sans doute le mieux cette compassion, elles qui connaissent les douleurs de l’enfantement. « Comme la femme qui enfante, je gémissais, je soupirais tout en haletant » (42,14), fait dire à Dieu le prophète Isaïe. C’est le mérite de la théologie féministe de le souligner.

Jésus est la grande figure de la compassion de Dieu et, dans l’évangile, les mots évoquant sa proximité avec les souffrants ne manquent pas. Dans la parabole du Bon Samaritain, Jésus se dépeint lui-même, lui l’image de ce Dieu qui s’approche de l’homme blessé.

C’est dans la compassion que l’image humaine de Dieu que nous sommes devient la plus ressemblante. Elle se manifeste souvent dans la discrétion : « Dans une chambre de malade, dans un quartier où règne la misère, dans un pays ravagé par de graves conflits, mais aussi dans quantité de situations beaucoup plus ordinaires où des êtres humains se laissent rejoindre par une marque de tendresse, une parole réconfortante, un geste de sollicitude », rappelle Michel Fédou.

Le dolorisme, cette survalorisation de la souffrance pour elle-même, peut nous guetter. Fort heureusement, le père Fédou termine son bel ouvrage en évoquant la joie, qui est le dernier mot de tout. Si la compassion de Dieu est grande, sa joie l’est encore infiniment plus. « Pour moi, me répondit une élève lors d’une retraite, Dieu est quelqu’un qui a le sourire aux lèvres et des larmes dans les yeux ». Tout est dit.


[1] Michel Fédou, La compassion de Dieu, Desclée de Brouwer 2024.

[2] Paul Baudiquey, Un évangile selon Rembrandt, Mame 1989.

 

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