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Cachez ce péché !


Charles Delhez sj –

Durant la Semaine sainte, le mot péché, "cette adoration qui se trompe d’objet", disait Marguerite Yourcenar, reviendra souvent. C'est un mot mal-aimé. On cherche dès lors à le contourner. Ainsi, l’expression "manquer sa cible", traduction du mot grec hamartia, est souvent évoquée pour nous déculpabiliser. Mais en fait, la terminologie biblique est bien plus riche. Le péché est en effet plus qu’un ratage, une distraction, un manquement. Une cinquantaine d’expressions traduisent l'opposition entre les humains ou entre eux et Dieu[1]. Le but n’est cependant pas de culpabiliser, mais d'inviter à la conversion et à l'accueil du pardon divin. Hélas, écrivait François Varillon, “nous avons mis la culpabilité en lien avec le jugement et non avec la miséricorde”.

Culpabilité est un mot ambigu. Il désigne le fait d’être coupable, d'être responsable d'un mal, mais aussi ce sentiment de gêne, de honte, cet avertissement envoyé à notre responsabilité. Il peut devenir obsédant et malsain quand on ne parvient pas à en sortir par l'aveu qui ouvre au pardon [2]. Il s'agit alors de culpabilisation morbide. "Ne cherchons pas à bannir la Honte de notre vie intérieure, écrit Christophe André. N'ayons pas peur de la ressentir : elle peut être l'aiguillon qui nous contraint à nous pencher sur nos erreurs. Cherchons juste à ne pas lui permettre de nous dominer durablement, et à ne pas l'infliger à autrui."

Il nous arrive de manquer notre cible, de nous en tromper, mais pécher c'est en viser – plus ou moins délibérément – une autre que la bonne. Nous sommes hélas capables de vouloir faire le mal — par vengeance, par exemple, ou par jalousie – et d’y arriver. Le péché est alors ce qui compromet le projet de ce Dieu qui, dès la première page de la Bible, proclame que la création est très bonne.

Selon le mythe biblique de la chute d’Adam et Ève, qui représente le type de tout péché, l’homme est à la fois coupable, mais aussi victime. Ève cède au mensonge du mystérieux serpent, mais elle accepte quand même ce mensonge parce que plus intéressant pour elle que la mise en garde de Dieu.

La liberté est notre plus grande dignité. Les excuses faciles ou la minimisation de notre responsabilité semblent l’oublier. Or, se dire libre suppose que nous reconnaissions nos errements volontaires, sinon, pouvons-nous nous attribuer le bien que nous faisons ? Le mal existe, c'est une évidence. Si chacun de nous en est innocent, qui donc est coupable des injustices qui défigurent notre humanité ? Les autres, sans doute ! Non. La faute est aussi un choix de ma propre liberté même si, souvent, celle-ci est affaiblie. La tentation est souvent plus forte que nous. La véritable lutte contre le péché est dès lors d’aguerrir notre liberté. Tel était précisément un des objectifs du Carême.

Aujourd’hui, ce malaise par rapport au péché ne s'explique plus par la croyance en l'enfer d'un Dieu punisseur. Il est plutôt l'envers de cette conviction profondément chrétienne que tout ratage, coupable ou non, n'est jamais aux yeux de Dieu le dernier mot de notre histoire. Dieu n'est-il pas amour et donc pardon ? "Ce sont les bras ouverts de Dieu qui nous révèle notre péché", écrit de belle façon Louis-Marie Chauvet. Et si, grâce à Dieu, le péché pouvait devenir ce fumier où poussent de très belles plantes ?

[1] En voici quelques-unes dans leur traduction française : faute, crime, mal, délit, iniquité, impiété, tort, iniquité, offense, perversité, perfidie, forfait, injustice, offense, rébellion, traîtrise, transgression, délit, infidélité…

[2] Ce thème est magnifiquement illustré dans Crime et Châtiment de Dostoïevski.

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