Beaucoup ont pu voir, à la télévision, L’empire du silence, un film de Thierry Michel sur les horreurs à l’est du Congo. On aurait pu l’appeler : Le bain de sang. L’histoire ne cesse de se répéter, endeuillant les siècles. Alexandre le Grand, Attila, Napoléon, Staline, Hitler, et de nos jours Poutine. En contre-point, j’ai pu voir récemment le spectacle intitulé Lune Bleue, interprété par la troupe de L’Enfant des Étoiles. Il m’a profondément ému. Le fil rouge est l’histoire qu’une grand-mère raconte à sa petite fille, Emily. Cette grand-mère n’est autre que Lune Bleue, une indienne Sioux, née une nuit où la lune était bleue, comme elle le fut tous les 13 ans, aux grands tournants de sa vie.
Ainsi, le jour où elle eut 13 ans, son village fut rasé par la furie des hommes blancs. Seule survivante, elle fut adoptée par une famille de colons, qui passait par là. La Lune bleue brilla. Le massacre de Wounded Knee, en 1890, est le fond historique de ce spectacle qui magnifie l’âme indienne si proche de la nature. Ce drame est considéré comme l'évènement mettant fin à 400 ans de guerres indiennes qui firent passer la population des tribus amérindiennes de 300.000 à 50.000 individus. « La nation blanche est pareille à un torrent de neige fondue qui sort de son lit et détruit tout sur son passage », commente Sitting Bull dans le spectacle. Et Cerf boiteux en donne le motif : L’or ! La folie de l’or ! « On ne peut pas lutter contre la puissance du métal qui rend fou », dit-il.
Quand Lune Bleue eut 39 ans, le soir de la quatrième lune bleue de sa vie, Loup gris, son protecteur lorsqu’elle était enfant, fit irruption dans une fête où elle se trouvait, car elle appartenait dorénavant au monde des Blancs, ayant épousé l’un d’eux. Il venait, des années plus tard, venger les siens. Écoutons sa complainte : « L’homme blanc ne chasse pas : il dévaste ! Il ne puise pas : il épuise ! Il ne creuse pas : il détruit ! Il n’élague pas : il arrache ! Enfant, poursuit-il, je savais écouter, je savais donner. J’ai oublié cette grâce depuis qu’on a voulu me civiliser. J’avais un mode de vie naturel alors qu’aujourd’hui il est artificiel. Tout joli caillou avait une valeur à mes yeux ; chaque arbre qui poussait était un objet de respect. Maintenant, on veut que je m’incline avec l’homme blanc devant un paysage peint dont on estime la valeur en dollars... »
Heureusement, il reconnaît Lune Bleue parmi les convives. Celle-ci s’adresse à lui : « Tu dois laisser le vent apaiser ta douleur comme le soir qui apaise le jour qui s’en va. » Et la lune devint bleue. La haine, la vengeance, la revanche, ne servent en effet à rien. Il nous faut marcher vers la fraternité universelle. Ce spectacle est une invitation à la tolérance et au respect, à la liberté et à la fraternité, tous ces biens qui ne se calculent pas en dollars. Un message assez classique, somme toute, mais exprimé de manière artistique, il touche au plus profond de soi. Or être touché donne envie d’agir.
Laissons le mot de la fin à Lune Bleue s’adressant à Loup gris venu pour se venger : « Ce n’est jamais l’heure de la guerre, Loup gris. Pourquoi les hommes ne s’entendent-ils pas ? Pourquoi ne noient-ils pas leurs différences dans un étang de fraternité et de tolérance ? » Eh oui, alors, la lune serait bleue pour toujours !
Charles Delhez sj
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