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Allez, on y va !


Charles Delhez sj —

« J’aurais voulu ne jamais écrire ce livre. J’aurais voulu n’avoir à raconter que le bonheur d’une vie épargnée. » Ainsi commence Ajouter de la vie aux jours, aux éditions Les Arènes, un livre débordant de douleur et de larmes, le dernier d’Anne-Dauphine Julliand, cette journaliste dont le nom évoque Deux petits pas sur le sable mouillé.

« Allez, on y va ! » Toutes ses journées commencent de la même manière. Elle le répète parfois deux, voire trois fois. Et d’ajouter : « Rien que pour aujourd’hui. » À chaque jour suffit sa peine, disait Jésus. Dur en effet que de se lever le matin lorsqu’on a perdu ses deux filles d’une maladie génétique, Thaïs et Azylis, et son aîné, Gaspard, suicidé la veille de ses 20 ans. Seul Arthur, le quatrième, atteindra peut-être cet âge-là.

« Comment faites-vous ? », demanda l’auteure de ces pages à une maman ayant vécu le suicide de sa fille. Pour toute réponse, la femme leva les paumes vers le ciel, les épaules remontées, le cou rentré. Son mouvement disait : « Comment je fais ? Je ne sais pas. Comme ça. Comme je peux. »

Peut-on survivre à pareil drame ? Oui, mais comme l’a très vite compris Loïc, le mari d’Anne-Dauphine, à condition d’accepter de ne pas comprendre, et même de renoncer à essayer. Le risque serait d’en devenir fou. Il a accepté l’inacceptable.

« Le véritable courage, explique Anne-Dauphine Julliand, c’est de faire en soi un espace à la peine. […] L’autoriser à habiter le cœur et les pensées. Sans la laisser tout coloniser. Juste à sa place. À sa juste place. La vivre comme elle vient, quand elle vient. » Oui, il faut accepter la peine et savourer la joie. Il faut aimer la vie.

De courts chapitres d’une à quatre pages, évoquant différentes anecdotes, rythment cet écrit qui sort droit du cœur, ce lieu plus profond que la raison. À chaque fois, la vie réussit à faire signe. Des personnes peuvent tendre une main pour se relever, une épaule pour s’appuyer, mais sans pouvoir porter la souffrance à notre place. Anne-Dauphine a aussi appris d’expérience que « la consolation ne chasse pas la souffrance, elle apporte la paix. Celle qui permet de vivre sa peine sans peur[1]. » 

La tentation serait, pour ces parents désenfantés, de vouloir garder près de soi Arthur, le plus jeune des quatre, celui qui reste et à qui ce livre est dédié. Mais il faut qu’il vive sa propre vie. « Va, Arthur. Va, vis et deviens. » Oui, la vie peut et doit continuer.

Pour donner le change à sa peine, Anne-Dauphine s’est essayée au jardinage. « Cela va vous faire du bien », lui avait dit un voisin. Mais elle n’a pas la main verte, ses plantes dépérissaient. « Pourquoi tout ce à quoi je donne vie meurt ? », se demande-t-elle. Pourtant, l’année suivante, au milieu des herbes, elle découvrit des tiges de coriandre épanouies. La vie a fini par gagner. « Printemps » est le dernier mot du livre.

Tant que l'espérance réussit à se faufiler, il y a de la vie. Le jour de ses 50 ans, Anne-Dauphine a pu souffler toutes les bougies avec une gratitude profonde. Il y a en nous un sixième sens qu’on ne saurait décrire, dit-elle, celui qui éprouve la vie.

En ces jours encore proches de la Toussaint, terminons par ce petit bijou : « Le vent se lève. Je sors. Les bras grands ouverts, je le laisse me secouer, me pousser, me hurler dans les oreilles. Je sais pourquoi ça souffle aussi fort en ce jour de Toussaint. Ils sont si nombreux Là-Haut à battre des ailes. »



[1] Anne-Dauphine Julliand est aussi l’auteure de Consolation, Les Arènes, 2020

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