Frère Gaston
Charles Delhez sj –

Par hasard, je suis tombé sur un article du Figaro. Il parlait d'un certain frère Gaston arrivé en Inde en 1972. À l'âge de six ans, ce Genevois avait décidé de consacrer sa vie au Christ et aux pauvres. En le lisant, j'ai compris qu'il s'agissait de celui que Dominique Lapierre appelle Paul Lambert, dans La cité de la joie. Paru en 1985, ce roman, traduit dans le monde entier, s'est vendu à plusieurs millions d'exemplaires et finance encore des organisations humanitaires à raison de 3 millions de dollars par an.
Un jour de 1981, cet homme qui a vécu durant 18 ans dans une toute petite chambre, entouré de 500 lépreux, reçut la visite de Dominique Lapierre, envoyé par Mère Teresa. Le célèbre auteur voulait écrire un roman sur les pauvres. Il a su convaincre le religieux de son sérieux. Ils devinrent amis. Frère Gaston est l'une des « Lumières du monde dont j'ai eu l'honneur de raconter l'épopée d'amour et de partage », dira l'écrivain, décédé en décembre dernier.
Dominique Lapierre a su mettre en scène la vie intérieure de frère Gaston, cet homme entièrement donné aux pauvres. Il imagine un lépreux entrant dans la petite chambre de Frère Gaston, alias Paul Lambert, qui était en prière devant le linceul de Turin. « Qui est-ce ? demande le lépreux. — C'est Jésus. Il a souffert, explique le religieux Paul Lambert. S'il a les yeux fermés, c'est pour mieux nous voir. Et c'est aussi pour que nous puissions mieux le regarder, nous. Peut-être que s'il avait les yeux ouverts, nous n’oserions pas. Parce que nos yeux ne sont pas purs, ni nos cœurs, et que nous avons une grande responsabilité dans ses souffrances. S'il souffre, c'est à cause de moi, de toi, de nous tous. À cause de nos péchés, du mal que nous faisons. Mais il nous aime tellement qu'il nous pardonne. […] Et ces yeux clos m'invitent à fermer les yeux, moi aussi, à prier, à regarder Dieu en moi... et en toi aussi. Et à l'aimer. Et à faire comme lui, à pardonner à tout le monde. À aimer surtout ceux qui souffrent comme lui. À t'aimer, toi qui souffres comme lui. »
Et le récit continue. Une fillette en guenilles, qui s'était tenue cachée derrière la chaise du cul-de-jatte lépreux, alla déposer un baiser sur l'image et la caressa de sa petite main. « Ki Koshto ! Comme il souffre, murmura-t-elle ! — Il souffre, dit encore Paul Lambert. Pourtant, il ne veut pas que nous pleurions sur lui. Mais sur ceux qui souffrent aujourd'hui. Parce qu'il souffre en eux. […] C'est pour cela, vois-tu, que j'aime cette image. Parce qu'elle me rappelle tout cela. » Le lépreux hocha la tête, puis mena son moignon vers l'icône. « Grand Frère Paul, ton Jésus à toi, il est bien plus beau que celui des images[1]. »
À 86 ans, frère Gaston est toujours fidèle à sa vocation. Sa journée commence à 5h00 du matin par trois heures de prière, devant une reproduction du Saint-Saire, dans son petit oratoire. Il se rend ensuite en fauteuil roulant électrique chez chacun des résidents du hameau de chaume où il habite. « Je n'avais jamais eu autre chose qu'une planche pour dormir ! Maintenant, je vis comme un bourgeois dans un grand lit ! », s'exclame l'ascète. Sur sa table de nuit, une bible, un crucifix, ses lunettes et un vieil ordinateur portable qui sert notamment à sa correspondance avec les donateurs étrangers du Centre. Oui, notre humanité peut parfois être si belle de solidarité et de compassion.
[1] Cf. Dominique LAPIERRE, La cité de la joie, Robert Laffont 1985, pp. 158-159.
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