Une cathédrale qui pose question
Charles Delhez sj —
Pari tenu ! En 5 ans, Notre-Dame de Paris a été reconstruite. Georges Chalon a revu sa copie. Il y a cinq ans, il chantait : « On va reconstruire Notre-Dame. Païens, croyants, nous avons tous une âme de battants. » Il peut maintenant chanter : « On a reconstruit Notre-Dame et qu’est-ce que ça fait si ce n’est pas le même Dieu ! » L’inauguration a été faite en grande pompe, avec une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement, avec Trump lui-même, mais sans le pape.
Ce n’est pas la première fois que, dans l’histoire de France, cet édifice, héritage des siècles chrétiens, rassemble ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas. Les équipes chargées de réfléchir à l’aménagement de la cathédrale, visitée chaque année par 12 millions de visiteurs, l’ont laissé entendre en parlant d’une « cathédrale intégralement catholique… donc ouverte à tous ».
Ce grand évènement fait la gloire de la France, mais François ne s’y est pas rendu. Les motifs de ne pas aller à Paris ne manquaient pas. Le pape argentin a une âme plus populaire que protocolaire, les mondanités ne sont guère son genre. Il préfère les périphéries. Il a choisi la Corse. Le colloque sur « la religiosité populaire en Méditerranée » a eu sa préférence. Il a voulu orienter les projecteurs sur cette foi toute simple qui n’a pas disparu du cœur du peuple. Réjouissons-nous donc de ces deux évènements : la présence du pape en Corse attirera les regards sur ce qui aurait pu passer inaperçu et la réouverture de Notre-Dame qui n’a pas eu besoin d’une visite pontificale pour faire la Une.
Une question mérite d’être posée. Notre-Dame de Paris est-elle simplement un patrimoine archéologique à photographier en passant ou un lieu spirituel et religieux ? On pouvait y entrer gratuitement sans devoir montrer sa carte de baptême ou cacher celle d’un parti politique. Aujourd’hui, il est question de faire payer l’entrée dans ce joyau spirituel comme au Louvre. N’est-il pas précieux que demeurent des lieux symboles de gratuité, cette valeur sans quoi l’humain ne l’est plus. Au cœur de notre société mercantile, la religion n’a-t-elle pas à signifier que la gratuité, l’amour, la foi, la beauté sont des valeurs essentielles.
Mais quel est finalement le rôle le christianisme dans nos pays d’Occident ? Une réserve de valeurs, uniquement quand celles-ci nous conviennent ? Un patrimoine du passé, comme la galerie des glaces à Versailles ? Ou un puits d’espérance qui a irrigué notre Europe et qui continue à questionner la hiérarchie de nos valeurs, un aiguillon spirituel qui interroge la société et l’invite à retrousser les manches afin qu’advienne un monde plus fraternel ? Quoi qu’il en soit, l’Église, quant à elle, ne pourra jamais fermer les portes à ceux qui ne partagent pas sa foi. Elle ne peut non plus oublier les combats à mener, dans le coude à coude avec tous, en dehors de ses bâtiments aussi prestigieux soient-ils, car, disait le concile Vatican II, les joies et les espoirs de l’humanité sont les siens.
Par-delà la présence ou l’absence du pape et la gratuité de l’entrée dans Notre-Dame, telles sont les véritables questions. Notre-Dame deviendra-t-elle un musée payant, et le christianisme une culture du passé, une petite secte de bien-pensants ? L’avenir y répondra.
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