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Revisiter le mot « sacrement »


Aux yeux de la foi chrétienne, l’Église, constituée d’innombrables petites communautés, est le sacrement-source des autres. « Voyez comme ils s’aiment », devrait-on pouvoir dire de chacune. Elles sont le signe, en un lieu, de ce Dieu qui est amour et qui l’a manifesté en Jésus, mort et ressuscité. Cette fraternité ecclésiale se vit consciemment comme étant le Corps du Christ ressuscité, sa présence au cœur du monde. C’est ce que l’Église célèbre dans les sept sacrements, ces gestes rituels qu’elle pose, animée par l’Esprit Saint.


Toute la vie est sacramentelle

Les sacrements sont des rencontres privilégiées avec Dieu ; il s’y donne. Ils ne peuvent cependant être compris sans la sacramentalité de la vie tout entière. Dieu est créateur et se donne en tout, dans la nature, bien sûr, mais particulièrement en l’être humain créé “à son image et à sa ressemblance”. Paul l’affirmait : “Tout est en Dieu” (1 Co 15, 28). Le chrétien cherche donc à “trouver Dieu en toute chose” et à “vivre toute chose en Dieu”. Chaque personne peut l’accueillir, même s’il ne cherche pas Dieu consciemment ou s’il est non croyant. Dans la parabole du Jugement dernier (Mt 25, 31-46), Jésus le dit clairement : c’est lui qui a été rencontré dans toute démarche de compassion, même s’il n’a pas été reconnu. C’est le “sacrement du frère”.

Tout geste d’amour vrai a donc quelque chose de sacramentel. Au Moyen Âge, la veille d’une bataille, les soldats se confessaient à d’autres soldats. Saint Ignace vécut cette démarche voici tout juste 500 ans, lors du siège de Pampelune (20 mai 1521). Certes, ce n’était pas un sacrement au sens fort du terme, mais quelle démarche vraie ! Il y avait, dans cette “confession”, quelque chose de sacramentel. Cette rencontre était une véritable expérience du pardon de Dieu. N’en va-t-il pas de même lorsqu’un visiteur de malades accueille avec miséricorde les confidences d’un mourant ou un visiteur de prison, les regrets d’un détenu ?

Les sept sacrements ont été codifiés à l’extrême et trop isolés du reste de la vie, notamment de la communauté. Ils valaient automatiquement par eux-mêmes. Un prêtre pouvait bâcler sa messe et, même si elle n’avait pour lui aucune signification, elle était valide. N’était-on pas dans le registre de la magie plus que de la foi ?

Pas question, bien sûr, de supprimer les sacrements “officiels”, gestes du Christ ressuscité par le ministère de l’Église. Mais la grâce de Dieu n’y est pas confinée. Les sacrements sont – toute comparaison a un côté simpliste – comme le gâteau d’anniversaire. Le repas est déjà signe d’amour et d’amitié, le gâteau aux bougies bien calculées en est sans doute le moment le plus fort, mais il ne fait sens que par le climat convivial d’amour qui le porte. Tous les gestes d’attention qui le précèdent préparent cet instant rituel. Toute la vie est sacramentelle, mais les sept gestes privilégiés le sont explicitement.


Là où il y a de l’amour

Ne peut-on appliquer cette réflexion aux secondes unions après divorce et aux couples non mariés qui désirent vivre dans la fidélité et être féconds ? Certes, ces personnes ne correspondent pas à l’idéal que l’Église se fait du mariage à la lumière de l’Évangile, mais elles ne sont pas pour autant nécessairement coupées de Dieu. Toute la vie des époux est appelée à être sacramentelle, et pas seulement la cérémonie !

Le père de la parabole a fait la fête pour son plus jeune fils qui avait dilapidé l’héritage (Lc 15, 11-32) ? Jésus n’a-t-il pas pris en exemple le Samaritain hérétique (Lc 10, 29-37) ? Il a aussi apprécié le geste de tendresse de la pécheresse à ses pieds (Lc 7, 36-50). Le renversement évangélique nous surprendra toujours. Lors des inondations, une foule anonyme de bénévoles s’est levée pour venir en aide, accueillir, consoler, nourrir, loger… Peut-être, y avait-il parmi eux de grands pécheurs !

“Qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui”, dit saint Jean (1 Jn 4, 16). Même si l’homme est pécheur – mais qui suis-je pour juger ? –, il reste capable d’amour. Il y a certes une distinction entre la sacramentalité de la vie et les sacrements de l’Église, mais il ne faut pas la durcir.


La piété populaire

Il ne faudrait pas oublier la piété populaire qui, de bien des manières, utilise les signes de la vie quotidienne. Les gestes sont ici nombreux, ainsi allumer une bougie : une manière symbolique de chasser les ténèbres de notre vie. Mais il y en a d’autres : inscrire une intention dans un petit carnet, le culte des saints par lesquels Dieu fait signe dans notre histoire, la vénération des reliques, tel le linceul de Turin ou encore la Couronne d’épines de Paris…. Jadis, avec le couteau, on faisait une croix sur le pain avant de le couper. Le Moyen Âge tant décrié laissait place à bien des démarches exprimant la foi, les pèlerinages et processions, par exemple. Aujourd’hui, la religion n’aurait-elle pas été prise en otage par les intellectuels et les dogmaticiens ? Tous ces petits gestes ne sont donc pas à négliger, notamment en catéchèse ou dans l’éducation familiale des enfants. La petite croix sur le front, la bougie lors de la prière familiale, un crucifix au mur, autant de signes qui invitent à lever les yeux vers plus grand que nous et à prier.


Charles Delhez sj

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