Charles Delhez sj –
"L'enfant terrible du christianisme." Qui serait-ce donc ? C'est saint Paul lui-même, que nous fêtons ce 29 juin. L'expression est le sous-titre du récent livre de Daniel Marguerat sur Paul de Tarse[1]. Un bijou de 550 pages, à la fois technique et parfaitement lisible. Paul a été admiré, détesté, domestiqué, ignoré ou encensé. Détesté, notamment à cause de quelques phrases sur les femmes tirées du contexte de sa pensée et de la société d'alors.
Sa pensée est géniale. Le christianisme d'aujourd'hui, selon Daniel Marguerat, historien et bibliste, lui est entièrement redevable. Nous n'en avons pas tiré toutes les conclusions. Voici sa conviction centrale : "Il n'y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. Nous sommes tous un en Jésus-Christ[2]" L'identité des enfants de Dieu prime donc sur toutes les étiquettes. Paul demeure un programme d'avenir qui ne nous emmène pas dans des eaux dormantes.
Parmi les 13 lettres qui lui sont attribuées, 7 sont de sa plume[3], les autres étant de ses héritiers. Tissées de tendresses et de raisonnements serrés, elles constituent la première littérature chrétienne, bien avant les évangiles. Notre auteur, un pasteur suisse, les parcourt selon l'ordre chronologique, les éclairant par l'histoire et l'exégèse. On découvre une pensée en constante évolution, dont l'apogée est la lettre aux Romains.
Paul a perçu l'originalité du Christ. De là à dire qu'il est le fondateur du christianisme, il n'y a qu'un pas, mais à ne pas franchir. Il est un des interprète de Jésus parmi d'autres, mais il ne s'est jamais posé un initiateur religieux. Il le rappellera aux Corinthiens: il n'y a pas d'autres fondements que Jésus-Christ[4]. Paul n'est donc pas le fondateur du christianisme, mais de l'universalisme chrétien. Sans lui le christianisme serait resté une petite secte locale. “Paul a mondialisé ce que le message de Jésus avait de plus provocateur au niveau des relations humaines." Au cœur de sa pensée, la foi est une grâce offerte à tous. Il en a fait l'expérience sur le chemin de Damas.
Peut-on parler de l'homme de Tarse sans évoquer son hymne à l'amour[5]. Cet amour est comme un infini, il vient de Dieu. Paul montre jusqu'où le souffle divin peut emporter les croyants et fait entrevoir la valeur incalculable d'autrui. Mais il ne donne pas un mode d'emploi, il exhorte, il invite à être libre et responsable : aimer est un do it yourself. Il ne tranche pas les questions morales par oui ou par non. Il ramène tout non pas à des règles, mais à un autre rapport à autrui. C'est une éthique de la liberté et du discernement. Quoi de plus moderne? Et même d'avant-gardiste aujourd'hui encore.
Le catéchisme de Paul se recompose autour de la Croix. Jésus est mort comme un paria. Ineptie, aberration ! "La mort répugnante du Fils de Dieu fait exploser tout imaginaire du divin, que ce soit l'idéal du Tout-Puissant ou la croyance en un Dieu raisonnable", commente Marguerat.
La conclusion de ce livre tombe comme un fruit mûr : le chemin est encore long avant de pouvoir dire que nous avons épuisé l'Évangile de ce Jésus qui "n'est pas venu pour rendre l'humanité plus religieuse ou plus morale, mais pour la rendre plus humaine”. Le chemin est encore long, mais Paul marche avec nous.
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