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Le défi de Jérusalem


Charles Delhez sj –



Terminant Le défi de Jérusalem d’Éric-Emmanuel Schmitt, je ne résiste pas à la tentation d’en faire une chronique. Je reste en effet impressionné par le parcours de ce romancier et dramaturge. De manière inattendue, son pèlerinage à Jérusalem, suite à une commande par la librairie éditrice du Vatican, a ajouté une étape essentielle à son entrée dans le mystère chrétien, mot qu’il affectionne particulièrement. « L’humanité se divise entre ceux qui résolvent des énigmes et ceux qui demeurent à l’écoute des mystères », écrit-il. Et il ajoute : « On ne devient pas chrétien parce qu’on a élucidé le mystère du christianisme, mais parce qu’on le fréquente et que, de son contact, on sort modifié[1] ».

Le mystère de Dieu, Schmitt l’a découvert au Sahara. C’est plus tard dans la solitude d’une mansarde, une nuit de lecture des évangiles, qu’il été touché par le mystère de Jésus de Nazareth. Maintenant, lors de « la grâce du Saint-Sépulcre », racontée dans ce nouveau récit, il ne s’agit plus d’une découverte intellectuelle, mais de son expérience sensible du Fils de Dieu. C’est toujours le même Jésus, mais perçu plus en profondeur. Petit à petit donc, notre auteur rejoint l’audace du mystère chrétien. Au cœur de celui-ci, la réalité de l’Incarnation à laquelle il ajoute – mais cela fait-il nombre ? - le mystère de l’Eucharistie. « Rien n’a pris plus d’importance que le moment où je reçois et intègre l’hostie, ce secret dont Dieu se voile et par lequel il se dévoile : je célèbre mystérieusement un mystère. »

Beaucoup de thèmes sont abordés au fil des pages, souvent de manière originale. Et il ne passe pas sous silence les tensions fratricides palpables dans cette ville des trois religions. Il anticipe ainsi la dramatique actualité, celle du conflit israélo-palestinien. Deux légitimités s’affrontent et toutes les deux ont raison, lance l’écrivain. « Il ne s’agit ni d’un combat entre le bien et le mal, ni d’un assaut du vrai contre le faux ; il s’agit de deux conceptions du bien inconciliables, de deux vérités qui s’excluent. » Hélas, puisque personne n’a raison ni tort, la force prétend tout régler. N’en va-t-il pas trop souvent de même de nos petites disputes ? Chacun veut avoir raison à soi tout seul au lieu de reconnaître que le problème est complexe et que chacun peut avoir raison à sa façon.

Chacune de ces trois religions met une vertu en avant : le respect pour les Juifs, l’amour pour les chrétiens, l’obéissance pour les musulmans. Voilà qui se complète si bien, même si, selon notre converti, l’amour l’emporte. Et cet amour nous conduit à la rencontre de l’autre, non pour le convertir, mais pour, avec lui, esquisser une fraternité. Aucune religion n’est vraie ou fausse, insiste l’écrivain. Aucune ne possède la vérité, mais plutôt une manière de vivre et de penser et celle-ci se répand parce que « des individus décident de s’en imprégner, de fonder ou de rejoindre une communauté ».

Jérusalem, ville sainte pour les trois monothéismes, le judaïsme, le christianisme et l’islam, est hélas aussi le lieu de toutes les divisions. À travers cette cité religieuse, écrit notre auteur, Dieu lance un défi aux croyants : non pas « Entendez-moi », mais « Entendez-vous ! » Et d’ajouter : « À Jérusalem où tout a commencé, rien n’est fini. ». Nous sommes en effet encore loin de la fraternité, par-delà tous nos antagonismes qui prennent trop souvent couleur religieuse.

[1] Éric-Emmanuel Schmitt, Le défi de Jérusalem, Albin Michel 2023, p.211 (dernière page du récit)


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