Les étoiles tombent du ciel
Charles Delhez sj —

De nombreuses étoiles sont tombées du ciel ces dernières années : Jean Vanier, fondateur de l’Arche ; Mario Rupnik, célèbre mosaïste ; Marie-Dominique Thomas, fondateur des frères de Saint-Jean et, récemment, l’abbé Pierre. Toutes des vedettes spirituelles, des stars ecclésiales, des personnes « charismatiques ».
« Quel gâchis, l’abbé », s’est exclamé son ami René Poujol au lendemain des révélations d’abus sexuels, hélas nombreux, de l’abbé Pierre (1912-2007). La phrase de Malraux, citée par ce journaliste, fait peur : « Pour l’essentiel, l’homme est ce qu’il cache, un misérable petit tas de secrets. »
Le héros de l’hiver 54 n’était pas dupe. « Ça m’humilie. Je connais trop mes faiblesses et mes insuffisances », confiait-il un jour à son ami Poujol. Ce combattant ne s’est jamais considéré comme un saint. Mais que faire quand on a commis des actes aussi graves et que l’on est une vedette ? Il était prisonnier de son personnage.
Dès les années 50, l’Église avait mis en place une thérapie et un accompagnement. De son côté, Emmaüs a gardé le silence tout en invitant les femmes à la prudence. L’œuvre était si importante et tellement liée à l’icône, on ne pouvait tout détruire en révélant la chose. De nos jours, heureusement, on n’agirait plus ainsi. Les catégories du passé ne sont plus celles d’aujourd’hui.
Il n’y a hélas pas que dans l’Église que les scandales arrivent. Régulièrement, journaux et médias nous rapportent des cas de violence sexuelle, de pédophilie, d’autres turpitudes. Et le célibat n’a rien à y voir. Tarek Ramadan vient d’être condamné pour viol, il n’était pas célibataire ; l’inceste dans les familles va de pair avec le mariage ! L’obligation que l’Église fait pour ses prêtres redouble le scandale, il est vrai, mais elle ne le crée pas. Le célibat n’entraîne pas nécessairement des déviations, même s’il peut être, pour certains, une sublimation de leur sexualité mal assumée. C’est en termes de pouvoir qu’il faut aborder le problème. Constatons aussi la difficile gestion de la sexualité qui traverse les siècles et n’oublions pas le biais patriarcal de notre culture.
Peut-on juger ? Il faut en tous les cas juger l’acte. On ne peut rester muet : c’est de la perversité. La loi parle de crime, la morale y voit une faute impardonnable et pour la foi, un péché grave. Il y a aussi le jugement de sa postérité : que fera Emmaüs de cet héritage ? Rien ne peut cependant faire que ce qui a été de beau, de bon et de grand, n’ait pas été. Une œuvre peut rester belle même si ses artisans n’étaient pas parfaits.
Par contre, nous ne pouvons juger la personne, nous n’avons pas accès à sa conscience. Il ne nous appartient pas de trier le bon grain et le mauvais grain. Cela revient à Dieu qui saura voir la belle moisson à récolter malgré l’ivraie si visible à nos yeux. C’est à lui de dire le dernier mot et il sera de miséricorde. Mais nous ne pouvons pas nous appuyer sur cette miséricorde pour faire n’importe quoi, pour fermer les yeux ou tout excuser.
Le jugement ne nous appartient donc pas, qu’il soit de condamnation ou de canonisation ! Et surtout, ne croyons pas que les humbles gens n’arrivent qu’à la cheville de nos vedettes, car celles-ci peuvent cacher bien de bassesses tandis que la pauvre veuve, avec ses deux piécettes, peut faire preuve d’une grandeur qui fait pâlir les étoiles.
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