top of page

Pour une belle mort


La Toussaint approche, et son jour des morts qui lui ravit souvent la vedette. Les morts, c’est toujours les autres, forcément. Mais un jour, ce sera moi, indéniablement. Ce jour m’échappe, mais pas sa préparation. Jadis, on parlait de la « belle mort », celle qui ne venait pas à l’improviste, à laquelle on avait le temps de se préparer spirituellement. Aujourd’hui, la mort est belle quand elle nous prend au dépourvu, si possible pendant notre sommeil.

Or, le propre de l’homme n’est pas d’avoir peur de la mort. Même les animaux s’en protègent. Ce qui nous caractérise est de nous savoir mortels, et donc de pouvoir nous préparer à ce grand passage. Ne serait-ce pas, finalement, l’œuvre de toute une vie ? Mais quand l’âge avance, cela devient plus urgent. Avant de réussir sa mort, il faut donc réussir sa vieillesse. « O mon Dieu, tirez parti de ma vieillesse comme un père de famille économe qui utilise les déchets et les choses usées », dit la poétesse Marie-Noël.

Syméon, lors de la présentation de Jésus au Temple (Luc 2, 25-35), est la figure évangélique qui m’inspire. En ce nouveau-né porté par Marie et Joseph, il voit la promesse de jours plus lumineux alors que, sans doute, sa vue baisse. Il n’est pas tourné vers le passé, mais vers l’avenir.

Quand la mort approchera, j’aimerais pouvoir croire, plus que jamais, que la semence jetée en terre par le travail de ma vie germera. Je voudrais ne pas être désabusé, désespéré ou résigné. Rien n’est perdu de tout acte de bonté, de toute pensée d’amour, de tout regard de tendresse. Je voudrais aller joyeusement vers le Seigneur tout en sachant que je n’aurai pas fait tout ce que j’aurais pu ou dû faire. Qu’au moment où ma vie deviendra davantage passive, ce qui a été vécu dans l’action trouve son achèvement… « Quand les feuilles tombent, les fruits mûrissent » rappelle Mgr Warin, évêque de Namur.

Puissé-je aussi, à cette étape, donner la priorité à la prière, alors que je l’ai si souvent donnée à l’action. J’aimerais également, rester partie prenante d’une communauté chrétienne et m’y faire discret, mais présent par ma prière et ma participation aux peines et aux joies de chacun.

Espérons que j’aurai assez de réalisme pour ne plus me mêler de ce qui sera la responsabilité de la génération suivante. Et si l’une ou l’autre personne me faisait l’honneur de me consulter, puissent-elles rencontrer un homme sage, dépouillé des impatiences de la jeunesse et de l’orgueil du midi de la vie. Ah ! Si je pouvais trouver à ce moment-là les mots qui encouragent, des paroles d’espérance. Que mes visiteurs perçoivent en moi un homme de foi, capable d’un témoignage vrai qui n’impose rien, mais propose avec douceur.

Bien sûr, j’espère ne pas trop souffrir lors des dernières heures. Mais si la maladie et la souffrance sont alors mon lot, j’aimerais les vivre en communion avec Celui qui, sans les sacraliser pour autant, les a transfigurées d’amour.

Bref, je voudrais marcher vers l’Éternité non à reculons, mais en regardant vers l’avant, les yeux tournés vers le Seigneur qui m’y donne rendez-vous et j’aimerais me préparer, sans culpabilité maladive, à recevoir son pardon. Le ciel n’est en effet pas un dû, mais un cadeau autant immérité que généreusement offert.

Charles Delhez sj


bottom of page