Oh la la ! Voilà maintenant des robots vivants, les xénobots[1], composés à partir de cellules souches. Ils sont capables de se reproduire d’une manière autonome. Que nous restera-t-il donc en propre à nous les humains ? Quand on peine à répondre, ne peut-on se dire qu’on traverse une crise de civilisation ?
Qui sommes-nous, finalement ? Au tournant du XXème siècle, les questions ont fusé à propos de notre liberté. Marx, Nietzsche et Freud[2], « les maîtres du soupçon », selon l’expression de Paul Ricœur, se sont employés à détricoter nos convictions jusque-là les plus limpides. Nous nous croyions libres, mais ne sommes-nous pas davantage conditionnés par les structures économiques de notre société (Marx), par une religion mortifère (Nietzsche) ou par notre inconscient (Freud) ?
Les deux, sans doute. Libres, certes, mais pas de manière absolue. Nous sommes situés. Il nous revient de voir ce que la frêle embarcation de notre existence peut faire du vent qui souffle où il veut. À nous de choisir notre route, à nous de la frayer au milieu de tous ces conditionnements, pour atteindre un but que nous seuls pouvons-nous donner. Il s’agit de faire confiance à la dignité de la condition humaine. Nous ne sommes pas touche de piano, girouette dans le vent, mais capacité de donner un sens à notre vie, une direction, une signification.
Après les maîtres du soupçon, voici ceux de l’éthologie et de l’Intelligence Artificielle. Au cours de ce XXe siècle, en effet, les éthologues ont tenté de comprendre l’intelligence des animaux. Et la question rebondit. Après celle de la liberté, celle de l’intelligence : qu’est-elle donc ? Et les robots, en ont-ils une, peuvent-ils être conscients ? Ici, c’est la définition de la conscience qu’il s’agit de regarder en face. Avec les xénobots, la question se fait encore plus radicale : mais qu’est-ce que la vie ?
À chaque fois, à propos de la liberté, de l’intelligence, de la conscience, de la vie, c’est la question « Qu’est-ce que l’homme ? » qui nous saute au visage. Celui-ci prétend en effet cumuler et la liberté, et l’intelligence, et la conscience, et la vie. Mais pourquoi donc cette obsession à nous distinguer des animaux et de la machine ? Tout simplement, parce que nous tenons à notre dignité de personnes créées à l’image et à la ressemblance de Dieu et que, sur ce terrain, nous n’aimons pas la concurrence. Manière humoristique de dire que notre responsabilité englobe les animaux, mais aussi les machines. C’est à nous de dire ce nous en ferons, et non l’inverse. Telle est notre ambition ! Mais quelle tâche en perspective !
Bref, l’être humain se veut créature libre et responsable. À lui est confiée cette planète. Ni les animaux ni les machines ne lui ôteront cette dignité. Et les conditionnements de sa liberté ne la lui enlèveront pas. Des arguments ? « La liberté est un éternel article de foi », disait le philosophe Fichte, tout comme d’ailleurs l’existence de Dieu. C’est un choix que nous faisons, un acte de foi en l’homme que nous posons. Sans preuves. À nous de vivre en conséquence.
Charles Delhez sj
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