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Petit ou grand amour ?

Charles Delhez sj –


« L’amour est plus vaste que la mer, et personne ne pourra jamais s’y perdre », dit un texte sur le mariage tandis qu’un autre, de l’Évangile, évoque la petite graine de moutarde, assurément la plus petite d’entre les graines, mais qui devient un arbre dans lequel les oiseaux du ciel viennent faire leur nid. Finalement, l’amour est-il grand ou tellement petit, comme une graine de moutarde, qu’on peut le perdre après l’avoir enfoui en terre ? Question rhétorique sans doute, mais qui fait réfléchir. Un adage dit : « Ne pas être limité par la totalité et être néanmoins contenu dans le plus infime, c'est le divin. » Il est cité en latin dans l’éloge funèbre de saint Ignace de Loyola, fondateur des Jésuites. Cette idée est chère au pape François, jésuite lui-même. Il la traduit à sa manière : « Il est divin de ne pas avoir peur des grandes choses et en même temps d’être attentif aux plus petites[1] » On la retrouve dans son exhortation apostolique sur la sainteté, Gaudete et exultate.

Assurément, l’amour est tellement grand qu’il peut se loger dans ce qu’il y a de plus petit. Il suffit d’un geste, d’une parole, d’un regard, d’une minime intention et il trouve domicile. De plus, il démarre si petitement. Le sentiment amoureux, la passion, en effet, c’est finalement peu de chose. Trois ans, dit-on aujourd’hui, et puis il s’essouffle. Il faudra que la volonté d’aimer prenne le relais. Si cette succession est assurée, il pourra grandir. Les amants, le jour de leur mariage, ne connaissent pas encore grand-chose de l’amour ni de leur conjoint. Mais lorsque ceux qui ont décidé de rester époux, même quand la vague dessinait des creux profonds, parviennent au soir de leur vie, l’amour est devenu chose immense, bien plus forte que des sentiments éphémères, des passions orageuses. Et un jour, on découvre – oh ! surprise – l’immensité de Dieu, comme le petit filet de la source qui, devenu fleuve, atteint l’océan.

Ceci est vrai de tout amour. Comment ne pas citer ce livre bien connu Deux petits pas sur le sable mouillé[2], d’Anne-Dauphine Julliand ? C’est l’histoire que raconte une maman qui vient d’apprendre que sa petite Thaïs, deux ans à peine, est atteinte d’une maladie très grave : il ne lui restera plus que vingt-deux mois à vivre. Pourtant, toutes deux vont vivre une relation d’une intensité extraordinaire. Quelques jours avant sa mort, nous dit la maman, Thaïs lui livrait son secret : l’amour, cet amour capable de transformer la faiblesse en force. L’ultime phrase de ce livre, juste après le dernier soupir, est toute simple : « À Dieu, petite Thaïs ! » À Dieu, en deux mots. Le nom de Dieu, qui n’avait jamais été prononcé tout au long du récit, apparaît à la dernière ligne. Quand l’amour est vécu jusqu’au bout, il découvre Dieu, quel que soit le nom qu’on lui donne. Tout amour débouche en Dieu tout comme il y prend source.

L’amour est donc capable de rencontrer la durée, la différence, la souffrance et même la mort ! Mais qui donc opère ce miracle ? Dieu, peut-être, mais certainement pas sans l’homme. Et lorsque parfois ce dernier n’en peut plus, Dieu fait lever son vent. Cette force, certains l’appelleront spiritualité, d’autres, foi, ou Esprit Saint. Mais c’est toujours la même expérience, celle d’être mené au-delà de soi-même. Oui vraiment, il y a plus en nous que nous-même.


[1] Gaudete et exultate, 169, note 124.

[2] Anne-Dauphine Julliand, Deux petits pas sur le sable mouillé, Ed. des Arènes 2011, p. 225.

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