Charles Delhez sj –
”Je ne sais plus où aller à la messe”, se lamentait une amie très pratiquante, mais si déçue par ce qu’étaient devenues les assemblées dominicales dans sa région. Dans son roman Et tu trouveras le trésor qui dort en toi, Laurent Gounelle prête cette réflexion à l'un de ses personnages : “Comment amener des gens d’aujourd’hui à aller à ce genre de réunions qu’on appelle messes ?Les chants étaient niais, les sermons culpabilisants, et tout le reste, ennuyeux à mourir.” C’est sans appel. Les églises de plus en plus vides – sauf d’heureuses exceptions – viennent confirmer ce verdict. Pour beaucoup de gens, surtout de la jeune génération, le culte catholique tel qu’il est vécu n’est plus nourrissant. Ils vont chercher ailleurs.
À qui la faute ? Mauvaise question. Il y a moyen de tout justifier et de tout incriminer. De plus, d’autres éléments, qui relèvent de l’évolution sociale et culturelle de nos régions, tiennent les jeunes loin de l’Église, notamment une rupture de la transmission, et pas seulement dans le domaine religieux. Est-il cependant normal que, alors que notre culture change à toute allure, la liturgie demeure si figée ? La religion, c’est de l’ordre de la tradition, rétorquera-t-on. Certes. Loin de moi de vouloir faire table rase du passé. Mais n’y a-t-il pas un minimum d’inculturation nécessaire, un équilibre à trouver ?
Entre invariance et créativité
Nous avons tous besoin de rites. Le renard l'a dit au petit Prince. Le tout est d’en trouver la forme. Et de ne pas en être esclave. Quand les rituels se transforment en conventions et en obligations, ils cessent de porter du sens. Un autre travers qu’a connu l’Église, outre le ritualisme, c’est le dogmatisme. Les deux d'ailleurs se rejoignent. Que l’on pense à certaines réactions, certes marginales, à propos des « vases sacrés » pour donner la communion au million et demi de pèlerins des JMJ de Lisbonne. D’aucuns firent circuler les mots de sacrilège ou de blasphème.
Avant le Concile Vatican II, il faut le reconnaître, la liturgie s'était momifiée. Sa langue elle-même était une langue morte. Cela donnait un goût de sacré, mais ne permettait pas une intelligence de la foi en phase avec la culture contemporaine et occultait finalement le message si simple du Christ. A cette époque, on n’aurait pas osé toucher à la moindre lettre de la liturgie. Aujourd’hui, peut-être sommes-nous parfois passés à l’opposé, mais ce qui me fait le plus peur, ce n’est pas la créativité, mais la fixité.
Le plus mortel en liturgie, c’est le "rubricisme" (attachement formel aux “rubriques" de la liturgie, ces règles indiquées en rouge dans la marge des missels du prêtre), le respect aveugle des normes alors qu’elles sont davantage des indications que des règlements. Mais il y a un autre excès, celui d’une créativité qui nierait toute tradition (car, alors, on perd aussi la dimension de communion avec les autres communautés de l’Eglise "catholique"). Il faut donc trouver le juste milieu, et c’est tout un art.
Oser improviser
Puis-je avouer que je célèbre sans missel ? Je m'imprègne des textes bibliques du jour : le "credo" les reprend sous forme de proclamation de foi ; la préface en est inspirée ainsi que les oraisons. Quant à la prière eucharistique, je jongle avec mon improvisation et les différentes formules proposées que je connais par cœur. Ce n'est cependant pas du n'importe quoi. Je reste viscéralement attaché au sens profond de ces formules, mais j'essaie de le traduire dans le langage de l'assemblée que j'ai devant moi.
Je suis un adepte de la “transgression responsable” : je ne respecte pas au pied de la lettre les rubriques, mais je crois savoir jusqu'où je peux aller sans trahir ce que l'Église veut célébrer. Il y a donc des transgressions que je ne me permettrai pas, parce qu'elles nous mettraient en dehors de la communion ecclésiale. Ainsi, je n'hésite pas à demander à une femme de proclamer la préface, mais je reprends la main à la consécration. Le résultat est-il parfait ? Non, bien sûr. Est-ce trop personnalisé ? C'est le risque. Mais la véritable question est : les participants de la célébration en sortent-ils ressourcés, la foi en Jésus le Christ a-t-elle été nourrie, l'espérance renouvelée et les liens fraternels renforcés, le message reçu se traduira-t-il par un supplément d'amour au quotidien ?
La théologie la plus classique explique que ce qui importe, c’est de vouloir faire ce que l’Eglise veut faire par ce rite. Ainsi, un prêtre qui se tromperait dans la formule d’absolution, pardonnerait vraiment les péchés si du moins il a voulu le faire en communion avec l’Eglise. Cette règle est encore valable quand on remplace "se tromper" par "être créatif".
Les sept sacrements ont été codifiés à l’extrême et trop isolés du reste de la vie, notamment de la communauté. Ils valaient automatiquement par eux-mêmes. Un prêtre pouvait bâcler sa messe et, même si elle n’avait pour lui aucune signification, elle était valide. N’était-on pas dans le registre de la magie plus que de la foi ? En réaction à la Réforme protestante, les catholiques se sont attachés à la validité des rites et pas assez à leur signification. On a oublié que la manière de célébrer, donc la justesse de la célébration, faisait partie de la validité elle-même et que la qualité de l'assemblée fait partie du signe. Dans ma paroisse de Blocry, je commence toute célébration par un échange des nouvelles et un accueil des gens de passage. Ainsi nous faisons corps. Au début des enterrements, j'invite les différents groupes à se présenter (la famille, les amis, les collègues, les paroissiens…). La célébration déploie tout son sens grâce au climat fraternel qui l'enveloppe.
Revisiter le mot « sacrement »
Aux yeux de la foi chrétienne, l’Église est le sacrement-source des autres. Elle est constituée d’innombrables petites communautés dont on devrait pouvoir dire de chacune : "Voyez comme ils s’aiment." Elles sont le signe, en un lieu, de ce Dieu qui est amour et qui l’a manifesté en Jésus, mort et ressuscité. Cette fraternité ecclésiale se vit consciemment comme étant le Corps du Christ ressuscité, sa présence au cœur du monde.
Alors que le Christ offrait un pain pour nourrir le corps que la communauté est invitée à former (“Vous êtes le corps du Christ”, dira Saint-Paul), on s’est petit à petit centré sur le pain lui-même, oubliant l’importance du corps. Saint Augustin avait pourtant bien saisi l’essentiel : “C’est votre mystère que vous recevez, le corps du Christ. Devenez donc ce que vous recevez.”
Les sacrements ne peuvent cependant être compris sans la sacramentalité de la vie tout entière. Dieu est créateur et se donne en tout, dans la nature, bien sûr, mais particulièrement en l’être humain créé "à son image et à sa ressemblance". Paul l’affirmait : "Tout est en Dieu" (1 Co 15, 28). Le croyant cherche donc à "trouver Dieu en toute chose" et à "vivre toute chose en Dieu". La ritualité chrétienne emprunte en effet aux données les plus humbles de la vie quotidienne : le pain, le vin, huile, l'eau, les mains…
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Il n'est pas question de trouver une solution universelle, mais une manière de revitaliser nos communautés célébrantes ici, chez nous. Le pape François aime en effet valoriser les cultures locales. C’est un appel de détresse que je lance. Et je reprends les mots du père Caffarel lorsqu’il débuta les Équipes Notre-Dame pour répondre aux besoins spirituels des couples : “Cherchons ensemble !”
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