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Culpabilité et responsabilité



« C’est notre héritage judéo-chrétien ! » Voilà une manière de vite régler certaines questions par une expression à l’emporte-pièce. Ainsi, à propos de la culpabilité, comme si Adam et Ève avaient réussi à faire de nous des êtres culpabilisés. Aujourd’hui, la mode est à la déculpabilisation. Une bonne chose ? Voyons de plus près.

Il y a la culpabilité objective : j’ai fait le mal. Un interdit de notre condition humaine – “Tu ne tueras pas”, par exemple – a été franchi, un bien que j’aurais pu faire n’a pas été fait. Il y a le versant subjectif : je prends conscience que j’ai fait le mal, je reconnais ma part de responsabilité dans cet acte. Nous sommes dans le registre éthique. Cette prise de conscience peut être salutaire, mais aussi morbide, maladive : sans cesse, on ressasse. Il serait plus juste ici de parler de culpabilisation, cette incapacité de sortir de l’auto-accusation. Il s’agit alors d’un problème psychologique.

Et le péché ? Il relève du registre religieux : le mal que j’ai fait blesse Dieu dans son dessein d’amour. Aujourd’hui, on aime remplacer ce mot par l’expression « manquer sa cible ». C’est en effet l’étymologie d’un des nombreux mots hébreux ou grecs traduits, en français, par péché. Mais il y en a bien d’autres. Il ne s’agit pas d’en choisir une, mais de les prendre ensemble, chacune apportant une nuance. À ne retenir que celle-là, on risquerait de faire du mal une maladresse et d’oublier ce qu’il peut avoir de volontaire. Il m’arrive en effet d’atteindre ma cible, de vouloir, plus ou moins consciemment, blesser l’autre, le diminuer, l’abaisser pour me grandir.

Ce qui fait notre dignité – que l’on soit croyant ou non –, c’est notre liberté. Si nous ne sommes pas responsables du mal, s’il n’est pas, parfois, le fruit d’un choix délibéré, d’un calcul, d’une manigance, le bien non plus ne peut pas nous être crédité. Nous ne serions simplement que des maladroits. Il faudrait ici lire ou relire Dostoïevski, Crime et Châtiment. Le héros Raskolnikov passe de la culpabilité dépressive à la reconnaissance de sa faute, grâce à l’amour de Sonia qui le rejoint jusque dans la détresse du bagne.

Le mot « péché » s’avance toujours en couple. Soit il s’acoquine avec la culpabilisation, spirale infernale, sans espérance. Soit il se marie avec le pardon, la miséricorde. Hélas, nous avons trop souvent mis la culpabilité en lien avec le jugement et non avec la miséricorde. “Quand le catholicisme parlait de péché, dit Dominique Collin, il donnait l’absolution.”

Qui n’a jamais fait un mauvais coup dont il ne souhaite pas se vanter ? La déculpabilisation, la peur du discours moralisant est parfois tout simplement une manière de nous déresponsabiliser du mal et de nous cacher. Car là est la question : qui est responsable du mal ? Si personne n’en prend sa part de responsabilité, nous en serons à tout jamais prisonniers. Mais quand je plaide coupable, cela signifie que j’ai ouvert les yeux et que je suis disposé à refaire le choix du bien… Et je peux en croire les autres tout aussi capables. L’espérance est dès lors possible.

Charles Delhez sj




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