Consoler et être consolé : ni l’un ni l’autre ne sont faciles, mais ils sont essentiels. Si la souffrance est rupture de liens, la consolation en crée. Elle est, nous dit Anne-Dauphine Julliand dans son livre Consolation[1], la rencontre de deux cœurs : un cœur qui souffre et un cœur qui s’ouvre. “Consoler, ajoute-t-elle, ce n’est pas nécessairement sécher les larmes, c’est souvent les laisser couler.” Rappelons qu’Anne-Dauphine Julliand est l’auteure de Deux petits pas sur le sable mouillé, où elle raconte la maladie et le décès de Thaïs à l’âge de 4 ans. “Dans la consolation, il y a quelqu’un qui est présent pour me rappeler que le bonheur existe”, explique à son tour Christophe André qui publie aussi un Consolations[2], mais au pluriel, cette fois.
Consoler ne résout rien et ne répare pas, mais apporte de l’humanité, allège la souffrance. Face à celui qui souffre, le pire est de ne rien faire. Ni absence, ni intrusion. Il faut trouver la juste distance. Les porcs-épics illustrent cette sagesse : par temps d’hiver, quand ils se tiennent trop près l’un de l’autre, ils se piquent, quand ils se tiennent trop éloignés, ils ont froid.
Il n’y a pas de discours à faire ni de conférence à préparer avant d’aller voir la personne qui a besoin de notre consolation. En fait, il n’y a rien à dire. “La consolation se faufile dans une économie de mots”, dit encore la maman de Thaïs et d’Azylis décédées bien trop tôt, et de Gaspard qui a mis fin à ses jours tout récemment. Il s’agit tout simplement d’apporter une présence, car la solitude est la pire des souffrances. Et peut-être, à la chaleur de cette présence, la parole de celui qui souffre se libérera. Mais peut-être pas, ou pas encore, car il faut parfois beaucoup de temps pour que la souffrance se trouve des mots et puisse monter du cœur vers les lèvres. La souffrance peut être telle que je n’aie pas envie d’être consolé, que je ne trouve pas les mots pour l’exprimer, du moins pour le moment, du moins totalement. Mais quand on peut en parler, c’est déjà se consoler. Il ne faut cependant jamais forcer la confidence.
Celui qui veut consoler se sentira toujours maladroit, et il le sera. Peu importe. Il faut faire un pas, prendre du temps pour l’autre, lui permettre de continuer à vivre en lui rendant de menus services, par exemple, tout en respectant le mystère de sa souffrance. Il suffit parfois de se promener ensemble, laissant aller librement la conversation. Il y a aussi le toucher : prendre l’autre dans ses bras, lui offrir une épaule accueillante. Dans le toucher, la personne souffrante sent qu’elle existe pour quelqu’un.
Il restera toujours chez la personne blessée une part inconsolable, car quelque chose a été brisé, cassé, et qui ne sera jamais réparé. Mais cette part peut coexister avec celle du bonheur. Petit à petit, la joie peut revenir, sans pour autant faire oublier la peine. Les deux peuvent coexister. Il s’agit en effet de continuer à vivre, de percevoir, dans le regard des autres, que la vie attend encore quelque chose de moi.
Charles Delhez sj
[1] Anne-Dauphine Julliand, Consolation, Les Arènes, 2020.
[2] Christophe André Consolations. Celles que l’on reçoit et celles que l’on donne, L’Iconoclaste, Paris, 2022.
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